Délimitations du texte
De « Je reprends ma trousse et mon cuir anglais » à « Voici l’instant de la crise. »
Conseils
Relisez bien, dans vos notes, votre réflexion préalable sur toutes les questions que pose la forme du texte (le long monologue d’un valet) et sa situation dans la pièce (à l’acte V). Le point de départ de notre travail avait permis d’élaborer un horizon d’attente très riche, dont les hypothèses se sont souvent vérifiées à la lecture.
Proposition de synthèse
- C’est la fin du monologue de Figaro, situé à l’acte V, avant le dénouement. C’est donc un moment de suspension dramatique - au sens où l’action est interrompue - dans lequel le valet se dévoile.
- Il fait le récit d’une vie soumise aux aléas de la fortune. Son personnage, qui revient sur les pièces dont il est le héros, s’étoffe encore à cette occasion.
- Il expose de façon presque poétique et musicale une manière de vivre, une sagesse de la gaieté et, en s’interrogeant sur ce qu’est l’existence humaine, quitte un temps son emploi de valet et le genre de la comédie pour penser, face au spectateur, en homme des Lumières.
On peut lire notre extrait en le décomposant en trois mouvements :
- le récit d’une vie,
- une méditation sur l’existence, l’affirmation d’une sagesse de la gaieté
- l’expression mélancolique de la désillusion, transition vers le dénouement.
Le second mouvement pourrait aussi bien être lui aussi décomposé en deux temps : les questions, puis les réponses.
Au fil du texte
Le récit d’une vie en mouvement (jusqu’à “Il retombe assis.”)
- Revoyez si nécessaire ce qu’est un « picaro ». En quoi ce récit montre-t-il Figaro sous ce jour ?
- Comment Beaumarchais, dans ce récit que fait le héros de sa vie, introduit-il la façon dont il a embrassé le métier de barbier ? Qu’à gagné le personnage dans cette profession ? Quel est l’intérêt que le personnage fasse ainsi défiler sa vie sous les yeux du spectateur ? Songez à l’emploi de valet dans la comédie.
- Montrez comme l’énergie que Figaro a dû déployer se lit dans la rapidité des enchaînements de ce récit.
- Figaro dit avoir laissé « la fumée aux sots qui s’en nourrissent, et la honte au milieu du chemin » : revoyez si nécessaire ce qu’est un zeugma ; l’essentiel est que vous saisissiez l’aisance verbale et l’intelligence de Figaro, qui passe du concret à l’abstrait. Que désigne métaphoriquement la fumée ? Songez à l’activité qu’a quittée le valet.
- Quel effet produisent les participes présents ? Que suggèrent-ils quant à la vie de Figaro ?
- Comment l’intrigue du ‘‘Barbier de Séville‘‘ est-elle résumée ?
- Cette vivacité du texte est essentielle à plusieurs égards : pensez à la forme du texte (un monologue), au personnage, au primat du caractère sur l’intrigue pour Beaumarchais, mais aussi aux contraintes de la société d’ordres du XVIIIe siècle.
- « Prêt à tomber dans un abîme, au moment d’épouser ma mère, mes parents m’arrivent à la file » : c’est ensuite le cœur de l’intrigue du ‘‘Mariage‘‘ qui est résumé. En quoi le vocabulaire, dans cette phrase, mêle-t-il tragique et comique ? Quelle figure mythologique et théâtrale se forme à l’arrière-plan du récit de Figaro ? En quoi cela enrichit-il ce valet de comédie ?
- Comment Figaro raconte-t-il la scène de reconnaissance avec ses parents ? Montrez qu’au cœur de son récit, le personnage se met… à faire du théâtre, à mettre en scène ces retrouvailles en les jouant (rappelons que la scène reconnaissance est un type de scène souvent employé au théâtre, où se révèlent les secrets et les identités, souvent pour résoudre l’intrigue et clore la pièce, tant dans le genre de la comédie que dans celui de la tragédie). Pensez notamment aux didascalies, mais aussi à la brièveté des phrases, à la juxtaposition de plusieurs phrases simples en cascade.
- Comment le jeu des pronoms montre-t-il, paradoxalement, que la scène de reconnaissance crée un trouble au lieu de simplement révéler la vérité des identités ? Pourquoi est-il intéressant que le monologue soit l’occasion de rejouer, pour le protagoniste qui est seul à présent, cette scène de l’acte III ?
Une méditation sur le hasard et sur l’existence, qui conduit Figaro à une sagesse de la gaieté (à partir de “Ô bizarre suite d’événements !”)
On peut aussi bien commencer ce mouvement à partir de la didascalie “Il retombe assis”. En effet, d’une part, elle clôt la saynète qui rejoue la scène de reconnaissance, en répondant à la didascalie précédente (“Il se lève en s’échauffant”) ; d’autre part, elle peut être lue au second degré, de façon métaphorique (voir la question ci-dessous), et donc être liée profondément à la méditation qu’amorce Figaro.
- Quelles questions soulève finalement pour Figaro la rencontre avec ses parents ?
- Le ton de Figaro est-il encore celui de la comédie (pensez à l’interjection) ? En quoi peut-on dire que Beaumarchais, à partir d’un valet de comédie, innove ici sur le plan théâtral ? Comment interpréter le fait qu’il “retombe assis” ?
- Comment s’exprime le vertige de questionnements qui assaille le héros ? Soyez notamment attentifs aux types de phrases, à leur progression.
- Pourquoi peut-on dire que le personnage, tout en s’interrogeant sur sa vie, atteint l’universel ? En quoi le texte permet-il que l’on s’identifie à lui ? En quoi peut-on dire qu’il est très représentatif du siècle des Lumières ?
- En quoi peut-on dire que le monologue tend vers la prose poétique ? Soyez attentifs aux jeux sur les sons (aux homéotéleutes notamment, ces rimes au sein d’un texte en prose) ; observez le nombre de syllabes des passages les plus musicaux.
- Pourquoi la langue du personnage s’élève-t-elle ainsi ? Quel lien avec le sujet dont il est question (les hasards de l’existence, l’attitude à adopter face aux aléas d’une vie) ?
- « Je l’ai jonchée d’autant de fleurs que ma gaieté me l’a permis » : que signifie cette image ? Comptez le nombre de syllabes, revoyez si nécessaire ce qu’est un vers blanc. Pourquoi faire entendre ainsi un rythme aussi cadencé ? Si cela peut vous aider, demandez-vous comment vous diriez cette phrase ; revoyez des captations du monologue comme celles que nous avons vues en cours.
- Pensez aussi à vous pencher, après le ton et le rythme, sur le vocabulaire dans cette fin de monologue. Est-ce encore celui de la comédie ?
- « encore je dis ma gaieté, sans savoir si elle est à moi plus que le reste, ni même quel est ce moi dont je m’occupe » : comment, dans cet extrait, la grammaire nous montre-t-elle la prise de distance du personnage par rapport à lui-même ? Quelle est la portée de cette phrase ? S’agit-il encore simplement de s’interroger seulement sur la « destinée » d’un valet au XVIIIe siècle ?
- Pensez à analyser le crescendo grâce auquel Figaro se définit lui-même par la suite (attention, « animal » signifie être vivant au XVIIIe).
- « maître ici, valet là, selon qu’il plaît à la fortune » : comment le héros montre-t-il l’interchangeabilité des rôles ? Montrez aussi comme la diversité des états au sein de la société fait écho à la variété des traits de caractère du personnage.
- Comment la langue de Figaro montre-t-elle à la fois la diversité de ses traits de caractère (observez les contrastes entre les adjectifs et les noms) et, en même temps, l’unité de son être (pensez au jeu sur les sons, mais aussi au rôle des participes présents) ?
La désillusion du personnage, nécessaire transition dramatique
- Quel sentiment s’exprime à la fin du monologue ? Comment la construction et le rythme des phrases en rendent-ils compte ?
- De nouveau, en quoi est-ce particulièrement intéressant de la part d’un personnage traditionnel de comédie ?
- Le monologue a-t-il rempli, quant à lui, sa fonction de résolution, ou n’a-t-il permis que d’exprimer l’intériorité du héros ?
- En quoi les sons, de nouveau, jouent-ils un rôle déterminant dans la clôture du monologue, en revenant à l’intrigue ? En quoi suggèrent-ils le caractère obsédant de Suzanne et la crainte de la trahison ? Si nécessaire, comme pour toute question sur les sons, pensez à relire le texte à voix haute, ou à réécouter ce passage en vidéo.
- En quoi le dernier mot du monologue fait-il soudain de Figaro l’équivalent d’un coryphée (terme à revoir si nécessaire), qui annonce ainsi la dernière étape de la pièce ?
Prolongements
Ces éléments peuvent vous fournir des amorces ou des ouvertures intéressantes.
Dans son Essai sur le genre dramatique sérieux, publié en 1767 en guise de préface au drame Eugénie, Beaumarchais écrit : « Tout homme est lui-même par son caractère, il est ce qu’il plaît au sort par son état sur lequel ce caractère influe beaucoup. » N’est-ce pas là, avant l’heure, un condensé de ce que dira Figaro dans le monologue ? N’est-ce pas aussi l’expression d’une conviction selon laquelle, face aux aléas du “sort”, aux difficultés d’endosser dans la société un “état”, le caractère est ce par quoi un homme peut tenter de chercher le bonheur ?
En 1787, la même réflexion revient sous la plume du dramaturge, sous la forme d’une maxime écrite en vers dans le livret de l’opéra Tarare :
« Homme, ta grandeur, sur la terre,
N’appartient pas à ton état ;
Elle est toute à ton caractère. »
L’ascension sociale de Figaro, devenu homme à tout faire (sans doute parce qu’il sait tout faire), est pointée du doigt, peut-être jalousée par son adversaire Bégéarss, dans le but de le discréditer auprès du Comte, dans La Mère coupable, à l’Acte II, scène 23 :
« Comblez cette canaille, et voyez ce qu’elle devient ! En vérité, Monsieur, mon amitié me force à vous le dire : vous devenez trop confiant ; il a deviné nos secrets. De valet, barbier, chirurgien, vous l’avez établi trésorier, secrétaire ; une espèce de factotum. Il est notoire que ce monsieur fait bien ses affaires avec vous. »