Je vous propose ci-dessous des pistes de corrigé pour votre réflexion littéraire du mois de mars sur le sujet suivant :

En quoi la littérature permet-elle de penser et de renouveler notre conception de la relation entre l’homme et l’animal ?


Proposition d’introduction

« Je me sers d’animaux pour instruire les hommes », écrit La Fontaine dans le texte dédié au Dauphin qui ouvre le recueil des Fables en 1668. S’il est bien entendu question ici de l’allégorie animalière, procédé dont nous sommes familiers depuis la prime enfance, il est possible aussi que le fabuliste ait songé qu’à travers ses textes, nous autres hommes pourrions apprendre des animaux. Reflet du monde et perpétuelle invitation à l’habiter autrement, la littérature se nourrit en effet, dès l’origine, de nos représentations de l’animal, en même temps qu’elle contribue à les faire évoluer. En quoi, précisément, permet-elle de penser et de renouveler notre conception de la relation entre l’homme et l’animal ?

Commentaire :

Attention, chers élèves d’Humanités, à la formulation de la question. Quelle que soit la façon dont vous la reprenez, respectez-en les termes, d’une part ; d’autre part, choisissez entre interrogative indirecte ou interrogative directe (comme c’est le cas ici). De nombreuses copies de lycéens donnent à lire une confusion entre les deux constructions et se trouvent ainsi pénalisées dès le début. Pour revoir ce point et éviter de faire l’erreur, je vous invite à relire en quelques lignes ces explications proposées pour le Bac de français.

Compte tenu de la brièveté d’un tel devoir, je ne propose pas d’annonce de plan. On peut imaginer de poser plus rapidement la question, et d’expliciter les raisons pour lesquelles on peut se la poser. Ici, j’ai procédé dans l’ordre inverse, avec une amorce, une explicitation de ce que la littérature peut faire s’agissant de nos représentations de l’homme et de l’animal, de sorte que la question peut être posée dans toute sa légitimité.

Pour cette nouvelle matière, songez bien qu’il n’existe pas, quoi que vous lisiez peut-être sur internet, de méthodologie. Et heureusement, car l’enjeu, c’est qu’aucune méthodologie ne vienne phagocyter votre réflexion. Cette proposition de corrigé a valeur d’exemple, non de modèle.


Pistes pour des arguments

Commentaire

Je ne développe pas ici, mais j’essaie de proposer des arguments possibles - c’est une des difficultés rencontrées par certains d’entre vous que de proposer un raisonnement, avec des arguments en tête de paragraphe. Les exemples appellent bien sûr une présentation détaillée, pour que l’illustration prenne toute sa valeur argumentative.

  • La littérature donne à voir le questionnement, ancien, sur la nature de l’animal, et sur l’animalité dans l’homme. Des métamorphoses racontées par Ovide à celle de Gregor chez Kafka, en passant par un récit médiéval comme le Lai du Chèvrefeuille de Marie de France ou les Fables de La Fontaine, l’allégorie animalière, celle de la métamorphose ou de cette métamorphose arrêtée qu’est l’hybridité, conduisent d’une part à interroger les dérèglements de l’homme et d’autre part favorisent chez le lecteur un décentrement. Exemples : un ou deux à développer parmi ceux mentionnés ci-dessus.
  • Par essence, la littérature offre aussi la possibilité d’un autre point de vue que le nôtre sur le monde (point de vue d’un écrivain, point de vue d’un personnage…) : et pourquoi pas celui des animaux eux-mêmes. Exemple : Borges, « La demeure d’Astérion ».
  • Si le texte de la Genèse établit le primat de l’homme sur l’animal, les questionnements sur l’homme, portés par les écrits humanistes au XVIe siècle, remettent cette hiérarchie en question. Cf. Montaigne, « Apologie de Raymond Sebond ». On insistera sur le cadre culturel dans lequel naît la réflexion de Montaigne (l’Humanisme de la Renaissance, qui se caractérise par une réflexion sur ce qu’est l’homme, sur ce qui définit l’humanité).
  • L’une des difficultés propres au questionnement sur l’animal réside en ceci que, même considéré en raison, l’animal demeure, par-delà la réalité des espèces envisagées, un signe, voire un symbole toujours déjà saisi dans un réseau culturel. Témoin la Panthère des neiges que guette Sylvain Tesson, comme le signe d’une mythique et regrettée harmonie avec la nature, et plus encore les animaux presque phagocytés par l’allégorie qu’ils sont devenus : impossible de songer au Renard sans avoir la ruse à l’esprit, par exemple. C’est pourquoi une histoire de ces signes que sont les animaux, une histoire culturelle de notre bestiaire imaginaire paraît nécessaire. Exemple : M. Pastoureau : Le loup, une histoire culturelle.
  • La littérature contemporaine interroge d’une façon renouvelée notre rapport aux animaux : la thèse de Descartes semble définitivement écartée, à mesure que progressent la compréhension et le respect des animaux. Exemples : S. Tesson, N. Martin, Croire aux fauves.

Remarques sur la conclusion

Vous construiriez un bilan qui serait bien sûr fonction des arguments que vous avez développés.

Une remarque de méthode et de fond en même temps : attention à ne pas proposer une conclusion trop générique, relativiste (du type : chacun pense ce qu’il veut à partir de ces lectures…). Vous gagneriez quoi que vous écriviez à mettre l’accent, sous une forme ou sous une autre, sur le fait qu’en ce domaine (comme en tout autre), la littérature offre un accès à la complexité du monde et du vivant. Même si elle peut s’avérer difficile d’accès par rapport à d’autres médias, et même si elle ne saurait résoudre toutes les questions, elle peut bousculer les évidences, par l’appel à la réflexion, par le développement des idées au fil d’un raisonnement ordonné dans la langue, par la confrontation des points de vue, par la mobilisation de l’imaginaire.

Il peut être intéressant de montrer qu’en littérature se dégagent plusieurs façons de représenter l’animal et la relation que l’homme entretient avec lui. J’en retiendrai deux qui permettent d’ordonner nos récentes lectures. Une première catégorie d’œuvres met l’animal en scène pour inviter l’homme à s’interroger sur sa nature propre. C’est un miroir ; c’est un être vivant défini par rapport à l’homme, en négatif, comme vous l’avez bien dit dans certaines copies. Ou bien encore, c’est un type qui réfère à un trait humain particulier - et on revient ici à l’allégorie. Une seconde catégorie d’œuvres envisage l’animal pour lui-même, non plus comme miroir de l’homme, mais comme un être vivant à part entière, avec son irréductible mystère : c’est notamment le cas des livres dont nous avons partagé la lecture au cours des dernières séances. Mais bien sûr, dans les deux cas, la mise en scène de l’animal dans la littérature est une invitation à questionner la place de l’homme dans l’ordre du vivant.


Prolongement : un angle mort de nos cours

Je voudrais aborder un angle mort de nos cours, sur lequel le temps restant ne me permet plus de travailler en détail : le caractère sacré des animaux.

Si nous avons vu que les animaux permettaient, par exemple dans les mythes grecs, de renvoyer à l’homme un miroir de son animalité, entendue comme sa cruauté, la soumission à ses instincts (termes, nous le comprenons à présent, qui seraient plus justes que le vocable « animalité »), j’ai sans doute négligé (est-ce le prisme européen ? je n’en suis même pas sûr) le caractère sacré de certaines espèces dans notre histoire. Vaches sacrées en Inde, dieux sous forme animale dans l’Égypte antique ou, plus près de nous, taureau blanc de Poseidon que Minos refusa de lui sacrifier, bœufs du soleil mangés par les compagnons d’Ulysse : autant d’exemples qui témoignent du caractère sacré de certains animaux.

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