Voici un exemple de question, et de réponse organisée sur le texte d’Actéon. Ma réponse est évidemment plus longue que celle que vous pouvez rendre en une heure ; mais il s’agit aujourd’hui de vous donner une idée de ce qu’il serait possible de faire en Terminale avec deux heures.

Le texte étant traduit du latin, je ne propose guère de commentaires sur le style, qui est à la fois celui d’Ovide et celui du traducteur. En revanche, le récit est régulièrement cité et commenté.


Pourquoi et comment s’opère cette métamorphose ?

Les mythes qui fondent notre civilisation offrent notamment de pouvoir comprendre notre rapport aux animaux. C’est le cas des métamorphoses qui structurent notre imaginaire collectif, et qu’Ovide, poète romain du Ier siècle avant Jésus-Christ, a mis en récit dans son œuvre éponyme. Cette dernière a été parmi les plus lues en Occident, jusqu’à nos jours. L’une de ces Métamorphoses raconte comment Actéon, un jeune chasseur, est puni par Diane, la déesse chasseresse, pour l’avoir vue nue. Il est particulièrement intéressant de se demander pourquoi et comment s’opère cette métamorphose : en effet, un mythe mêle toujours un récit et une explication du monde, sous une forme allégorique. Comprendre les raisons et les modalités du changement d’Actéon en cerf, c’est accéder un peu à la vision du monde dont nous sommes les lointains dépositaires.


Qu’il y soit entré par hasard, ou comme le jouet d’une fatalité, ainsi que le suggère Ovide en écrivant que « c’était là que le poussait sa destinée », ou bien encore que son désir et sa curiosité l’aient amené jusqu’en cet antre « où rien n’est une création de l’art », Actéon a brisé un triple interdit. C’est l’analyse de l’archéologue Simon Reinacht (1858-1932), selon qui le jeune chasseur a pénétré un espace sacré, y a vu une déesse, et qui plus est dans sa nudité. 

Le caractère pur du lieu est patent : il est dépeint comme un endroit idéal, que jamais les hommes n’ont touché, puisque rien n’y est « une création de l’art », c’est-à-dire de la technique humaine. C’est donc un « asile » pour le repos de Diane, un « locus amoenus ». La nature lui offre un abri harmonieux, comme le suggère l’image du « murmure » de la source : « Là s’étendait une vallée qu’ombrageaient des épicéas et des cyprès à la cime pointue Sur la droite murmure une petite source, dont l’eau transparente remplit un large bassin entouré d’une bordure de gazon. » 

Mais le moment où apparaît Actéon revêt lui aussi un caractère sacré : le bain de Diane s’apparente à une cérémonie, dont toutes les étapes, notamment celle du déshabillage de la déesse, sont racontées. Chaque nymphe joue un rôle dans une partition parfaitement réglée : Diane « remet à la nymphe qui a soin de ses armes son javelot, son carquois et son arc détendu ; une autre reçoit sur ses bras la robe dont la déesse s’est dépouillée ; deux autres détachent les chaussures de ses pieds ; plus adroite qu’elles, Crocalé, fille de l’Isménus, rassemble en forme de nœud les cheveux épars sur le cou divin ». Ainsi, tout le premier paragraphe de l’extrait met en scène un cérémonial dans un lieu idyllique, reflets d’un monde dont l’ordre est garanti par les dieux. 

Or, l’arrivée d’Action est marquée, au contraire, par le désordre, la transgression, l’hésitation et l’incertitude : il a « interrompu ses travaux », ses pas sont « incertains », les lieux lui sont « inconnus ». Ultime affront à l’ordre du monde, Diane est littéralement dévoilée aux yeux du chasseur. C’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre son châtiment : elle réaffirme symboliquement que seuls les dieux sont les garants de cet ordre et qu’eux seuls peuvent le modifier à leur guise.


Actéon est alors métamorphosé en cerf : on pourrait certes voir cette punition essentiellement comme une transformation en bête. Sur le plan symbolique, le texte appelle pourtant une lecture affinée. Il y a une logique, si cruelle soit-elle, dans la malédiction divine. L’eau que les nymphes répandaient sur le corps de la déesse devient l’instrument de sa vengeance. Ironiquement, Diane fait du prédateur une proie que dévoreront bientôt ses propres chiens. Livrée aux yeux d’un homme dans son apparence véritable, elle change la sienne en retour. Par ailleurs, si l’apparence se modifie, la métamorphose semble plus une déformation qu’une transformation du corps : Diane « fait naître sur la tête ruisselante du malheureux les cornes du cerf vivace, elle allonge son cou, termine en pointe le bout de ses oreilles, change ses mains en pieds, ses bras en longues jambes et couvre son corps d’une peau tachetée ».

Mais la malédiction divine, de façon explicite, porte avant tout sur le langage. Il s’agit d’interdire tout récit d’Actéon : le tabou ne doit pas être brisé une seconde fois par la narration, même indirectement. « Maintenant va raconter que tu m’as vue sans voile ; si tu le peux, j’y consens », lance ironiquement Diane au jeune homme. La distinction qui s’opère ici entre l’homme et l’animal porte sur la faculté de communiquer, de se faire comprendre. Actéon réalise que la parole lui échappe désormais : « aucune parole ne sortit de sa bouche. Il gémit ; ce fut tout son langage ; ses larmes coulèrent sur une face qui n’était plus la sienne ; seule sa raison lui restait encore. » C’est même l’impossibilité de s’adresser à ses chiens qui le rend totalement méconnaissable : « Il aurait voulu leur crier : “Je suis Actéon, reconnaissez votre maître.” Les mots n’obéissent plus à sa volonté ». La cruauté de Diane vient donc de ce que les chiens dévorent leur propre maître, dressés qu’ils ont été à le faire par lui-même.


Ainsi, Diane métamorphose Actéon parce qu’il a, volontairement ou non, usurpé une place qu’il n’est pas la sienne en un lieu et un moment sacrés ; garante de l’ordre des choses, elle le rétablit et le modifie en déesse, selon sa volonté. Mais faire d’un homme un animal, ici, n’est pas seulement, et peut-être pas d’abord modifier son apparence : c’est surtout le priver de la parole, tant il est vrai que c’est grâce à elle, à ses pouvoirs, que les hommes tentent d’agir et de régir le monde, comme le chasseur ses chiens. Lorsqu’il meurt, Hippolyte, autre héros de la mythologie grecque, sacrifié par un père aveuglé à la cruauté déchaînée de Neptune, n’est pas non plus reconnu par les chevaux qu’il a élevés et qui lui donnent son nom : l’homme a perdu sa place par la faute d’un autre. L’ordre du monde grec n’est pas immuable, mais il est à la main des dieux.

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