Nouveau billet à la suite de nos échanges, qui lie deux questions a priori distinctes.


Questions posées en cours :

  • Jusqu’où on peut analyser son sujet ? Quelles sont les limites d’un sujet ?
  • Comment garder un bon fil directeur, sans divaguer ?

Je lie ces deux questions, posées séparément, car une même réponse me semble pouvoir être proposée aux deux.


Quelles sont les limites d’un sujet ? Seule l’analyse de ce dernier en permet la délimitation.

Chaque sujet doit être circonscrit lorsqu’on le découvre : c’est à vous de comprendre comment délimiter le champ de votre réflexion. @@On ne doit pas plaquer ce qu’on sait d’une œuvre lorsqu’on disserte sur elle ; le sujet est premier ; votre connaissance de l’œuvre est en partie mobilisée pour réfléchir au sujet - c’est-à-dire pour envisager la lecture de l’œuvre sous un angle nouveau, forcément nouveau et différent de ce que nous avons fait en cours.

Imaginons par exemple que vous soyez invités à réfléchir sur Juste la fin du monde de Lagarce, avec le sujet de dissertation suivant :

Diriez-vous de la pièce de Jean-Luc Lagarce qu’elle est une tragédie du langage ?

Vous répondrez à cette question dans un développement organisé. Votre réflexion prendra appui sur l’œuvre de Jean-Luc Lagarce au programme, sur le travail mené dans le cadre du parcours associé et sur votre culture littéraire.

Votre analyse du sujet, qui permettra aussi de le délimiter, si elle est bien menée, vous permettra d’écarter les lectures, les interprétations trop éloignées de cet angle de vue.

Premiers éléments d’analyse
  • Ce qu’on entend par tragédie, au sens courant et au sens théâtral (drame terrible ; genre théâtral à peu près épuisé au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, marqué par la grandeur des personnages, de leur parole, des défis qu’ils affrontent, et de la fatalité : c’est là une approche sommaire, bien entendu).
  • Comment redéfinir, au brouillon, la place de la fatalité, dans cette pièce familiale ? Au minimum, il s’agit d’un horizon déjà connu, vers lequel se dirigent inexorablement les protagonistes. Que sait dès lors le spectateur qu’ignorent les personnages ? Sont-ils tous soumis à une loi fatale ? Si oui, laquelle ? Si l’on comprend bien quelle fatalité pèse sur Louis, que dire des autres personnages ? Quelle sorte de fatalité pèse sur la vie familiale ?
  • Le « ressort » bandé de la tragédie (cf. Antigone d’Anouilh : je cite ici une célèbre tirade du Chœur) : des retrouvailles en forme d’adieu avec un compte à rebours chez Lagarce.
  • Une tragédie qui repose sur les limites mêmes du langage : elle résiderait dans la matière même de l’échange, voire dans les failles du langage entendu comme instrument de communication, d’action, d’interaction, d’expression d’une vérité de l’être. Quelles limites seraient celles du langage ici ? Songez par exemple à la façon dont les personnages, face à Louis, sans cesse reformulent leur propos, aux répétitions, à ces fameuses “épanorthoses”, mais aussi aux aveux d’impuissance face à la difficulté de dire, chez Antoine, chez Louis. Au sein d’une famille, n’est-il pas fatalement difficile de dire le besoin de s’éloigner, tout comme il est difficile de dire la nécessité de se retrouver ?
  • Une pièce qui emprunterait à la tragédie grecque son modèle : songez à ce que nous avons dit de la composition de la pièce, qui alterne action et dialogues d’une part, et commentaires sous forme de monologues d’autre part, avec un personnage coryphée, Louis, qui intervient dans les deux types de scènes.

L’analyse du sujet aboutit à une problématique et à une organisation - un plan - qui vous aidera à garder le fil de votre propos, si vous en concevez les axes sous la forme d’une seule phrase.

Première esquisse de problématique

Dans quelle mesure Juste la fin du monde relève-t-elle d’une forme renouvelée de tragédie, dans laquelle le tragique réside au cœur même du langage, fatalement impuissant à dire la vérité des êtres au sein de la sphère familiale ?

Première esquisse de plan

Considérez ici les segments en gras. Ils forment un tout ; ils ne cessent d'envisager les mots du sujet sous plusieurs angles ; ils reviennent toujours à ces termes. Ainsi garde-t-on le fil de ce que l'on veut dire.

  1. . La pièce est faite de petites et de grandes tragédies ordinaires, exprimées par le langage. La mort, au principe de retrouvailles en forme de nouvelle séparation (le compte à rebours du départ dans le film) ; la séparation et la distance, sur lesquelles la pièce insiste : le mariage auquel Louis n’a pas assisté, les cartes postales envoyées avec des textes succincts et peu expressifs, qui redoublent la distance ; le père mort, les dimanches disparus, la sœur qui n’a pas connu le passé commun ; les deux frères séparés par leurs modes de vie.
  2. . Elle dit aussi, dans l’usage même du langage, dans les limites qui sont les siennes, la difficulté, voire l’impossibilité de dire la vérité, avec des conversations aux airs de monologues juxtaposés, les silences, les non-dits, les reformulations, les répétitions, la violence verbale, la mort qui vient et qui n’est pas nommée, les émotions tues, le goût du silence d’Antoine, les relations impossibles à évoquer sans colère ou amertume, le cri final… Mais il faudrait nuancer ce point de vue : Antoine a tout de même la possibilité de dire sa colère à la fin, précisément en raison du silence de Louis.
  3. . Enfin, cette pièce s’inscrit dans le langage de la tragédie antique, en en renouvelant la forme, entre dialogues de la famille et monologues de Louis : cette alternance semble le seul moyen pour Louis de dire vraiment ce qu’il cherche à dire - mais au spectateur seulement. Cette structure est ce qui permet à Louis de dire peut-être plus que sa mort prochaine : l’inachèvement d’une vie, dans les moindres gestes ; la conscience qu’il “demande l’abandon”, que la distance a perpétuellement été son mode de relation avec les siens. Ce n’est pas tant la mort que la vie qui a été synonyme de séparation entre lui et sa famille.

Dans cette dernière partie, je joue sur le sens du terme "langage", employé ici au sens de "codes", de forme, de tradition.

Élaborer le plan de sa dissertation (avec les grandes lignes seulement ici) est en réalité impossible si vous ne partez pas, simultanément, de votre connaissance de l'œuvre. Votre réservoir de 10 citations intervient ici : vous réfléchirez à ce qu'ils disent de la pièce, à l'aune du sujet analysé ; ils vous permettront de dégager des éléments de réponse (des arguments), qu'il vous reviendra ensuite de regrouper, de réunir dans les parties envisagées. Faire le plan, c'est donc opérer des allers-retours entre un premier schéma d'ensemble qui peut se dessiner assez vite - comme ci-dessus - mais que l'on peut réaménager au fur et à mesure, et des zooms sur des extraits précis de l'œuvre, source de futures sous-parties. L'essentiel, c'est que l'ensemble soit cohérent.

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