Je vous propose des conseils pour relire efficacement, et je l’espère avec plaisir, ce poème de Baudelaire.

C’est un texte très riche, vous ne pourrez sans doute pas revenir sur chaque détail à l’oral : que cette abondance de relectures vers par vers ne vous fasse pas peur. Il s’agit de vous aider à entrer de nouveau dans la trame du texte, aussi profondément que possible.

C’est votre projet (ou angle, ou perspective) de lecture qui vous amènera à orienter votre explication, à mettre en relief tel ou tel fait d’écriture. Le temps vous impose d’être sélectif : pensez à justifier ce que vous voulez démontrer, tout simplement.


Proposition de synthèse

J’ai déjà eu l’occasion de vous donner ce conseil en cours, mais c’était il y a un moment : pour découvrir efficacement un texte que l’on s’apprête à commenter, à l’écrit, et réfléchir ainsi à un plan possible, ou bien pour récapituler ce que l’on a compris d’un texte après un cours cette fois, on peut recourir à trois questions, qui définissent l’œuvre, précisent son contenu thématique, avant d’ébaucher un ou des interprétations d’ensemble, qui en saisissent la singularité sur le plan du sens et de la forme en même temps :

  • Qu’est-ce que ce texte,
  • que dit-il,
  • et que signifie-t-il profondément, quelle est sa portée ?

Je reviens ici, pour être clair, sur l'ensemble du poème, sachant que vous n'expliquerez que la première partie le jour de l'oral.

  • C’est un poème composé de 13 quatrains d’alexandrins, issu de la section “Tableaux parisiens” (créée à l’occasion de la seconde publication des Fleurs du Mal, en 1861 : “Le cygne” fait partie des derniers poèmes écrits en vers par Baudelaire). Il est organisé en deux parties numérotées.
  • Dédié à Victor Hugo, il évoque, dans la première partie, Andromaque, personnage mythologique et héroïne de la tragédie éponyme de Racine, veuve du guerrier troyen Hector, en exil et captive depuis la défaite de Troie. Puis le poète décrit les travaux qui font en son temps de Paris un immense chantier à ciel ouvert, avant d’évoquer un cygne aperçu dans le quartier du Carrousel (dont l’image, justement, l’a fait penser à Andromaque). La ville tient donc une place essentielle, ou plus précisément, les travaux haussmanniens qui en modifient le visage et livrent le poète à un cruel et paradoxal sentiment d’exil. La seconde partie du poème, sur laquelle nous ne nous attarderons pas davantage, revient sur ces transformations, sur Andromaque et sur le cygne, avant de déployer un inventaire contrasté de personnages divers.
  • Le poème naît de la mélancolie et d’un sentiment d’exil aussi fort que paradoxal, puisqu’il vient de ce que Paris change autour du poète, sans qu’il en soit parti. À la modernisation de la ville et la perte de repères qui l’accompagne semble correspondre une volonté d’exprimer la mélancolie d’une façon renouvelée : c’est pourquoi une figure classique et altière, presque archétypale, comme Andromaque, côtoie un cygne “ridicule et sublime”, avant d’être rejointe par d’autres figures très disparates (la négresse, les orphelins, les matelots…). À l’image du titre de son recueil, Baudelaire promeut ici une esthétique du contraste dans un “tableau parisien” qui mêle réel et imaginaire ; si la mélancolie est associée à la permanence de souvenirs “plus lourds que des rocs”, la création poétique apparaît comme un mouvement susceptible d’apporter une délivrance provisoire au poète (et les “rocs”, dans le dernier vers, deviennent, par inversion des lettres, un “cor”).

Vous pouvez aussi vous appuyer sur la synthèse détaillée proposée ci-dessous.


Comment relire ce poème en vue de l’oral ?

Choisir un angle de lecture

Je le rappelle : une explication linéaire, à l’oral, c’est une reconstitution patiente et rigoureuse de tout le travail de lecture fait en cours, puis prolongé chez vous ; c’est une démonstration de la pertinence du projet de lecture que vous adopterez.

Pour relire “Le cygne” et en proposer une lecture convaincante le jour de l’épreuve, mettez l’accent, dans un projet de lecture précis, sur ce à quoi vous avez été sensible. Voici quelques questionnements possibles pour ciseler une perspective de lecture :

  • Voyez-vous ce poème avant tout comme l’expression de la mélancolie provoquée par la disparition du Paris ancien ?
  • Mettriez-vous plutôt l’accent sur la mélancolie et la mémoire, matériau de l’imagination du poète, qui rapproche de façon originale des figures bien différentes (Hugo, Andromaque, le cygne) ?
  • Ou bien sur les contrastes qui caractérisent ce tableau du Spleen baudelairien, lequel naît de la disparition d’un Paris ancien, source d’inspiration du poète ?
  • Insisteriez-vous sur l’entreprise esthétique qui vise à peindre un moment de Spleen en renouvelant les codes iconographiques de la mélancolie ? Sur l’inscription de Baudelaire, par lui-même, dans la longue histoire de la création poétique, à laquelle, après la poésie de Homère, d’Ovide, de Virgile, de Racine, de Hugo même, il apporterait sa pierre, celle de la modernité parisienne ?

Vous le percevez sans doute à nouveau avec ce texte, les angles de lecture sont des manières de lire (des interprétations), de mettre l’accent sur telle ou telle dimension du texte - ce qui ne nous empêchera pas d’évoquer les autres, bien entendu. Même si tout ne saurait être dit, même si l’on attend un commentaire du rôle allégorique d’Andromaque et du cygne, il n’y a pas une seule façon de lire ce poème - ni aucun autre.


Les mouvements de la première partie du poème

À l’oral, devant l’examinateur, après avoir introduit, lu le poème et présenté un projet de lecture, l’explication suivra les mouvements du texte, sa progression, comme si on le découvrait au fur et à mesure.

Ces mouvements du texte, cette progression, bien explicitée à l'oral, permet de donner à votre prestation une architecture ; elle contribue à la clarté de votre propos.

Le texte est à la fois très fluide et très construit, en sa première comme en sa seconde partie. La dynamique de la première partie est fondée sur des évocations successives :

  • celle d’Andromaque dans le premier quatrain, à qui s’adresse le poète
  • celle de Paris en chantier dans les second et troisième quatrains, sur quoi il médite,
  • celle de la ménagerie puis du cygne dans les quatre derniers quatrains de la première partie, dont il se souvient.

Ainsi, le poème progresse de façon à la fois linéaire et antéchronologique : Andromaque est évoquée parce que Baudelaire a pensé à elle en traversant le quartier du nouveau Carrousel, où il se rappelle la ménagerie disparue sur le site de laquelle il a vu un cygne un matin.


Aide à la relecture de la première partie du poème

Au seuil du poème, Baudelaire exprime sa mélancolie indirectement, à travers différentes figures.

  • Je vous invite à reconsidérer et, à l’oral, revenir sur la dédicace (pensez à ce que représente Hugo en son exil politique ; songez aussi à la figure de ce poète, chef de file du Romantisme à l’époque où Baudelaire lui écrit),
  • avant de commenter le croisement de ces trois figures disparates que sont le grand poète romantique, le cygne et l’héroïne tragique Andromaque (rappelez-vous : c’est l’héroïne éponyme d’une tragédie de Racine), à l’attaque du premier vers. Vous prendrez soin de repréciser qui est Andromaque : princesse troyenne qui pleure son époux défunt, emblème de la mélancolie et de la fidélité, personnage littéraire que Racine s’est approprié deux siècles avant Baudelaire…
  • Une très bonne remarque a été faite en classe : le poète s’adresse à Andromaque au tout début, comme les poètes de l’Antiquité qui, au début de leurs œuvres, invoquaient les muses. Vous pouvez aisément trouver et lire par exemple les premiers vers célèbres de l’Odyssée d’Homère.
  • Andromaque paraît d’ailleurs concentrer ce qu’éprouve le poète : observez par exemple la structure “Andromaque - je - vous” du premier vers, comme si la pensée tournée vers ce personnage était pour Baudelaire le moyen de comprendre son propre sentiment d’exil. Le critique Jean Starobinski dit de ces personnages qu’ils sont pour le poète des “répondants allégoriques”, c’est-à-dire des personnages qui allégorisent ce que Baudelaire ressent et cherche à dire.
  • Andromaque apparaît penchée sur un “petit fleuve”, réplique dérisoire du fleuve de son enfance, le “Simoïs” (Baudelaire fait presque ici de la traduction : le texte de l’Énéide de Virgile dit : “faux Simoïs”). Rappelez-vous l’importance du motif allégorique de la figure penchée, typique de la représentation de la mélancolie. N’hésitez pas à revoir, même à évoquer les tableaux de Dürer, Georges de La Tour et Constance-Marie Charpentier.
  • Un autre motif de cette tradition iconographique apparaît dans le premier quatrain : celui du miroir, avec l’eau. Je vous invite à commenter cela (que symbolise le miroir ? en quoi même peut-on dire que la structure de l’ensemble du poème évoque le miroir ? Comment eau et miroir se trouvent-ils associés ?).
  • Comment le motif du miroir se trouve-t-il transposé dans le domaine des sons au vers 4 ?
  • Observez l’enjambement entre les vers 2 et 3 (à bien respecter au cours de la lecture) : sur quoi insiste-t-il selon vous ? La majesté du personnage ? Sa douleur ? Ou bien s’agit-il de mimer le cours de l’eau ? Si vous devez revoir ce qu’est un enjambement, référez-vous à la fiche synthétique sur la versification proposée sur Pearltrees (dans la collection sur l’épreuve orale notamment).

La mélancolie naît du bouleversement de Paris : lieu que le poète n’a pas quitté, mais lieu d’exil cependant.

  • Que suggère le texte du rapport entre la mémoire du poète et la création poétique, entre le mythe et le réel ? Comment est-ce mis en valeur par la versification ?
  • Je vous invite à commenter dans le second quatrain la méditation de Baudelaire, au présent de vérité générale, qui met l’accent sur le paradoxe de son sentiment d’exil. Pensez à souligner l’effet de l’exclamation (voyez où se situe l’interjection “hélas” dans le vers ; appuyez-vous si nécessaire sur la fiche portant sur la versification, sur Pearltrees).
  • Le Paris ancien réapparaît - mais dans la mémoire seulement, comme l’indique la négation restrictive (la structure en “ne… que…”). C’est un Paris sale, bientôt noyé dans le vacarme de la voirie matinale (“le sombre ouragan dans l’air silencieux”, plus loin, est un ouragan visuel et sonore, fait de saletés dispersées dans l’air par les agents de la voirie).
  • Observez et commentez ce qui tend à évoquer cette confusion du paysage parisien avant recomposition : je pense au travail sur les sonorités en particulier : l’écho en AC (qui parodie phoniquement la grandeur d’Andromaque) non seulement à la rime mais aussi à l’intérieur des vers (“je ne vois qu’…”, “bric-à-brac”) ; la reprise de “brillant aux carreaux” en “bric-à-brac” ; les allitérations : CH (chapiteaux, ébauchés) ; la perte de la sensation de la scansion de l’alexandrin dans le troisième vers : 3 syllabes (les herbes) puis 9, sans qu’on sente l’accent à la césure notamment (alors qu’un alexandrin régulier est composé de deux hémistiches de six syllabes, que coupe une césure au milieu). L’alexandrin, en somme, se trouve désarticulé (ce que proposait déjà Hugo, qui disait dans un trimètre romantique exemplaire, c’est-à-dire un alexandrin construit en trois groupes de quatre syllabes : “J’ai disloqué ce grand niais d’alexandrin” : 4 / 4 / 4).
  • Ce qui apparaît ci-dessus à propos des sonorités peut être interprété différemment : en cours, nous avons plutôt vu là, et c’est au moins aussi pertinent, à quel point le poème semblait un miroir sonore où se reflétait le nom d’Andromaque.
  • Rappelez-vous que tout au long du poème, les motifs traditionnels de la mélancolie sont repris et dégradés. Le bric-à-brac “brillant aux carreaux”, c’est encore une évocation du motif du miroir. Plus rien que le chaos d’une ville en chantier ne semble pouvoir se refléter dans les vitres des rues.

La description d’une ménagerie disparue, dans un Paris confus, prépare l’évocation du cygne.

  • Comme en un plan désormais rapproché, le troisième quatrain s’ouvre sur un lieu particulier : la ménagerie disparue. Notez tout ce qui exprime la nostalgie du poète :
  • dans l’anaphore,
  • le choix des temps,
  • les précisions au service de la description du moment où le cygne a été vu, comme pour faire ressurgir cet instant à la surface de la mémoire,
  • le retardement même de la mention du cygne au quatrain suivant, retardement peut-être synonyme d’émotion. Qu’en pensez-vous ? Le poète insiste-t-il sur l’émotion ? Ou bien s’agit-il de peindre d’abord pour le lecteur la toile de fond ?
  • Sur le plan visuel, l’apparition du cygne égaré est préparée par la disparition de la ménagerie et des cieux désespérément clairs (froids et clairs, donc annonciateurs d’une absence de pluie et d’eau. Considérez bien la progression entre le Simoïs menteur, les flaques et les cieux clairs).
  • Sur le plan du bruit, la métaphore “sombre ouragan” souligne le vacarme des services de la voirie nettoyant les rues. Est-ce une manière de suggérer que l’orage attendu ne viendra pas du ciel mais de la rue ? Est-ce une façon ironique d’indiquer qu’il n’y aura pas de pluie ?

Le cygne décrit par le poète s’impose comme une allégorie originale de la mélancolie et de l’exil dans les deux derniers quatrains de cette première partie.

  • Notez comme le cygne est mis en évidence par sa position dans le vers.
  • Baudelaire en fait un portrait en mouvement des pieds à la tête, associant différentes sensations : le toucher (de ses pieds palmés frottant le pavé sec, sur le sol raboteux traînait son blanc plumage…), la vue (son blanc plumage), le goût (près d’un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec).
  • L’oiseau attire la pitié tellement sa majesté contraste avec son état, tandis qu’il est comme enchaîné au sol (ce n’est pas sans rappeler un autre oiseau baudelairien bien connu, auquel s’identifie le poète : cherchez dans la section “Spleen et Idéal” au besoin). Il est ridiculisé par les sonorités : près d’un ruisseau sans eau / la bête ouvrant le bec / baignait. Observez comme l’enjambement oblige la lecture à une série d’allitérations qui miment l’attitude du cygne. Songez aussi au jeu graphique proposé par le poète avec le groupe “ruisseau sans eau”.

  • Dans le quatrain suivant, le poète développe cette allégorie de l’exil qu’est le cygne en associant le manque d’eau et la nostalgie. Je vous invite à revoir comment.
  • Prenez soin de noter que Baudelaire donne curieusement la parole au cygne (c’est plus original que de la donner à Andromaque). On n’est pas loin, au fond, de la façon de faire d’un célèbre fabuliste avec ses allégories animalières…
  • L’expression “mythe étrange et fatal”, apposée au GN “ce malheureux”, est intéressante, car c’est Baudelaire qui, après Andromaque, crée ce mythe, l’histoire de ce cygne égaré et assoiffé. Pourquoi le poète emploie-t-il l’adjectif fatal selon vous ?
  • Rappelons qu’un niveau de lecture supplémentaire est sans cesse là, qui montre le renouvellement par le poète de la représentation de la mélancolie : faire disparaître l’eau-miroir typique de cette tradition iconographique, c’est souligner la puissance de son sentiment d’exil et s’extraire de codes esthétiques qu’il juge dépassés ou impuissants à dire ce qu’il éprouve. Reprenez bien toute la progression des termes évoquant l’eau et sa disparition sous toutes ses formes. On peut penser aussi que le “beau lac natal” réfère à un motif typiquement romantique (qui donne son nom à un célèbre poème de Lamartine : “Le Lac”). Baudelaire est en somme un héritier émancipé du Romantisme.
  • Comment le désespoir du cygne se manifeste-t-il ? Observez ses gestes en particulier.
  • Quel intérêt présente la comparaison avec Ovide (poète latin du Ier siècle av. J.-C, exilé par l’empereur Auguste loin de Rome, sur les bords de la Mer noire) ? Revoyez les repères fixés en classe sur l’auteur des Métamorphoses.
  • Comment l’écriture met-elle en relief le mouvement désespéré du cygne qui tourne sa tête vers le ciel ? Pensez notamment aux sons.
  • Le poète se moque lui aussi de cet appel vain : en témoignent l’expression « comme si… » et l’exclamative qui clôt la première partie.
  • Ainsi la progression Andromaque - le cygne dans cette première partie est-elle doublée par une progression temporelle, culturelle et spatiale : Troie (région natale d’Andromaque), Buthrote, non nommé, région grecque où coule un fleuve qui rappelle ironiquement le Simoïs (son lieu d’exil), donc des espaces en partie imaginaires, sont associés au vieux Louvre, lié lui-même à l’époque romantique. Baudelaire se voit comme le poète d’une ville en chantier.
  • On peut aussi reconstituer dans cette première partie une filiation qui associe poètes et exilés, jusqu’à lui : Homère, Virgile (surnommé “le cygne de Mantoue”), Ovide, Racine (avec le personnage d’Andromaque), Hugo, Baudelaire.

Pour préparer une introduction efficace

L’amorce

Préparez une amorce intéressante, qui contienne en germe votre explication à venir. L’amorce vise à la fois à établir un contact avec l’examinateur, à susciter chez lui, grâce à votre habileté rhétorique, de la bienveillance à votre égard, et à montrer en une phrase que vous avez saisi le texte vers lequel se dirige le propos.

Points de départ possibles pour une amorce (choisissez-en un parmi ceux-ci, ou élaborez votre propre point de départ) :

Rebonjour Madame/Monsieur ; vous m’invitez aujourd’hui à relire le poème “Le cygne” de Baudelaire. Contemporain des travaux haussmanniens, Baudelaire, né en 1821 et mort en 1867, vit dans un Paris en pleine métamorphose. C’est l’occasion pour lui de peindre la boue de la ville et l’or de l’imaginaire poétique qui la transforme dans les “Tableaux parisiens”, la section ajoutée aux Fleurs du Mal lors de la seconde édition en 1861. De cette section est issu le poème intitulé “Le cygne”…

Cette amorce embraye rapidement avec la situation du texte : elle met en lumière le rapport de Baudelaire à la ville.


Rebonjour Madame/Monsieur ; c’est sous le signe de la boue et de l’or que nous avons lu Les Fleurs du Mal, comme si au cœur du recueil de Baudelaire, une alchimie de l’écriture permettait de transformer la laideur en beauté, la mélancolie en poésie, les choses ordinaires du monde en allégories. Né en 1821 et mort en 1867, Charles Baudelaire…

Cette amorce, comme d'autres que j'ai pu vous proposer, est là pour témoigner qu'il faut toujours essayer d'orienter une amorce vers le propos qui suit, l'explication à déployer par la suite. C'est pourquoi on trouve souvent les amorces (pour l'écrit comme pour l'oral) à la fin d'un travail, même si elle vient au début de la composition.


Pour préparer une conclusion efficace

  • Votre conclusion sera brève ;
  • Elle visera à revenir, in fine, sur l’interprétation d’ensemble du poème proposée après la lecture.
  • Proposez une ouverture intéressante, un écho avec une autre œuvre, une réflexion plus large sur Les Fleurs du Mal, ou qui mette en rapport votre lecture du “Cygne” avec la poésie baudelairienne entendue comme une alchimie, qui change la boue “en or” (ou, ici, nous avons pu le dire, l’eau en boue).
  • Aussi bien, votre ouverture peut porter sur la deuxième partie du poème, non expliquée : vous pourriez dire que l’élan de Baudelaire vers l’imaginaire, à partir du Cygne, dépasse Andromaque, et s’ouvre à d’autres figures, toujours plus étonnantes par le contraste qu’elles offrent avec la princesse exilée (façon de renouveler l’esthétique de la mélancolie ? De dire l’universalité du sentiment d’exil ? De trouver une consolation poétique par l’évocation de ces doubles allégoriques ?). Si “tout pour (le poète) devient allégorie”, ce n’est peut-être pas seulement parce que chaque objet évoque pour lui l’exil, mais aussi parce que la poésie est un mouvement d’élan vers l’imaginaire, qui de figure en figure vous délivre du réel et de votre mémoire mélancolique des lieux aimés.

Prolongement : une proposition de synthèse détaillée

Je développe ici la synthèse proposée plus haut, en trois points qui pourraient structurer un commentaire littéraire, à l’écrit, donc. Si jamais le sens du poème vous paraît encore confus, lire cette proposition pourra vous éclairer.

De l’expression de l’exil à la délivrance du poète, puis à la réinvention d’une façon de donner forme à la mélancolie : relecture synthétique

Comme si je devais préparer une lecture progressive de ce texte, sous la forme d’un commentaire littéraire, pourquoi pas, je ressaisis notre lecture ci-dessous à travers trois approches : je reviens sur ce que le poème exprime en surface, de façon saillante (la mélancolie liée à l’exil), sur la façon dont cela est exprimé (la mélancolie de Baudelaire le fait se tourner vers les autres, figures réelles ou littéraires), enfin sur sa portée esthétique (il s’agit d’évoquer la mélancolie d’une façon neuve et accordée à l’époque de Baudelaire, contemporaine des travaux haussmanniens, héritière désabusée du Romantisme).

“Le cygne” exprime avant tout la mélancolie liée au sentiment d’exil.

Ce dernier est provoqué par les grands travaux haussmanniens, qui bouleversent le paysage urbain du poète au point de lui donner l’impression de ne plus être chez lui. Le regret du Paris disparu s’exprime avec force ; le visage du Paris nouveau n’a rien de réconfortant. Dès lors, “tout” pour le poète “devient allégorie” : autrement dit, tout ce qu’il perçoit le renvoie à cette conscience que dans la ville moderne et en mue l’être humain perd son socle. Chez Baudelaire, le “paysage état d’âme” (selon une expression qui caractérise la mise en scène des paysages dans la poésie romantique et la façon dont les poètes y projettent leur interiorité) est insaisissable, alors que chez les poètes romantiques ses prédécesseurs, il entrait en dialogue avec l’âme. Le chantier, d’une certaine façon, n’offre même pas à notre poète ce que le motif de la ruine, propice à la rêverie, donnait aux poètes romantiques.

Mais cette mélancolie pesante est aussi l’occasion d’une délivrance, en ce qu’elle est vécue sur le mode de l’altérité :

Certes, l’image de tous les exilés ajoute aux tourments du poète (de tous les temps, sous toutes les formes, qu’ils soient réels ou imaginaires). Loin cependant de se replier sur lui-même - comme le font les mélancoliques dans toute une tradition iconographique et poétique -, Baudelaire crée un poème qui s’adresse à eux (à commencer par le plus célèbre à cette époque des exilés, Hugo), dans un mouvement d’expansion infinie, sur le mode de la compassion. Ainsi trouve-t-il non pas un réconfort, mais du moins un élan intime vers l’extérieur ; ainsi leur rend-il aussi leur dignité. En ce sens, “Le cygne” sublime la mélancolie du poète (il la transcende, il la transforme en élan vers l’infini, en “élévation”, pour reprendre le titre d’un poème de la section “Spleen et Idéal”). Le point de départ est un exil ressenti comme subi ; à la fin, c’est volontairement que l’esprit du poète “s’exile” dans la “forêt” de son imagination.

Enfin, Baudelaire réinvente ici une manière de dire la mélancolie,

… loin des conventions artistiques immuables, trop parfaites et trop froides dans lesquels elle se trouvait enkystée (je vous renvoie ici au tableau de Constance-Marie Charpentier, par exemple, et au poème railleur de Théophile Gautier).

Son poème est un “tableau parisien”, donc une composition, qui procède d’une vision intérieure et qui donne à voir la réalité enrichie par l’imagination. Le Paris qui vient de disparaître dans le chantier du Second Empire est élevé au rang d’allégorie féconde ; les mémoires s’y rencontrent et s’y entrechoquent, d’un personnage à l’autre, d’un âge de la poésie à l’autre. Le cygne, qui comme tous les autres éléments du poème, “devient allégorie”, fait signe vers une poésie nouvelle, qui remet en branle des souvenirs et des époques littéraires (Virgile, Ovide, Racine, Hugo), et s’arrache à cette filiation, comme le Paris nouveau qui émerge des “gros blocs verdis par l’eau des flaques” voit disparaître le Paris de Victor Hugo.

La nouveauté et l’originalité de ce tableau, de cette poésie, tiennent en grande part aux abondants effets de contraste. La modernité de cette expression de la mélancolie naît de ce que « l’éternel » (la beauté immuable née de la figure d’Andromaque, qui symbolise la mélancolie dans une perspective classique) est tiré du « transitoire » (le mariage tourbillonnant d’Andromaque avec le cygne et avec les autres personnages, plus prosaïques qu’elle, de Paris et d’ailleurs), conformément au vœu du poète, semblable au « peintre de la vie moderne ». Au sujet de la poésie baudelairienne, Paul Claudel (poète et dramaturge du XXe siècle) a une formule tout à fait éloquente, qui paraît convenir à cette relecture de notre poème : elle est selon lui

« un extraordinaire mélange du style racinien et du style journaliste de son temps. »

Ainsi opère la fécondation de la mémoire baudelairienne, à la croisée du du passé et du présent, quand la culture classique du poète lui donne à voir partout des allégories dans le Paris poussiéreux des chantiers haussmanniens. Cette fécondation libère une mémoire jusque-là pesante et source de mélancolie. Dès lors, malgré la soif inextinguible du poète-cygne, l’exil et la souffrance peuvent être acceptés, puisque la création poétique trouve à exprimer le “mal” de façon neuve et sensible. L’exil, de subi, devient volontaire : c’est le voyage dans l’imagination (“Ainsi dans la forêt où mon esprit s’exile…”). La création poétique est non un remède, mais une issue à la souffrance, car Baudelaire écrit un chant nouveau, mêlé de mélancolie et d’ironie (on ne peut se défaire du sentiment de l’exil, mais on peut dire cette souffrance partagée, avec un peu d’autodérision sans doute). Ce regard est libérateur : sur le plan psychologique, l’être s’élance vers les autres exilés au lieu de subir le poids de la mémoire et de se recroqueviller dans la solitude du Spleen ; sur le plan esthétique, le poème s’affranchit de l’iconographie classique, mais aussi de l’espace, du temps et du réel, pour puiser sa force dans ce tourbillon de contrastes (d’ailleurs il est intéressant de constater que plus le motif de l’eau-miroir se défait, plus le poème se développe : c’est bien la mémoire du poète qui devient « fertile ») ; il exprime ainsi un rapport au monde original, ému sans complaisance, railleur et fasciné (comme le poète, le cygne est “ridicule et sublime”). Ce poème témoigne de la différence entre Baudelaire et les poètes romantiques : lui aussi pourrait, mais préfère ne pas céder à l’épanchement lyrique. Son chant mélancolique, plein de compassion et d’autodérision à la fois, donne naissance à une beauté “toujours bizarre”, ce qui est le trait le plus significatif de sa “modernité”.


Compléments

Paris en images

Quelques photos conservent la trace du vieux Paris, mais aussi du Paris en voie de transformation lors des grands travaux du baron Haussmann (celles de Charles Marville, notamment).

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Photos extraites du livre Paris Avant / Après

Charles Marville, Patrice de Moncan, Les éditions du Mécène.

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