Voici une proposition de relecture de notre travail, qui vise à vous accompagner dans votre préparation à l’examen.

Quelques ajouts ont été faits le 23 octobre quant à la façon de bâtir votre prestation orale à partir des mouvements du texte.

J'ai ajouté le 8 novembre, en fin de billet, des éléments sur l'introduction et la conclusion.


Proposition de synthèse : pour vous remettre le poème en tête.

  • C’est un sonnet issu des “Tableaux parisiens”. (Ce premier élément sera à enrichir en vue d’une brève introduction, qui visera à situer le texte : vous rappellerez la création de cette section, qui comprend les derniers poèmes en vers de Baudelaire, contemporains du projet d’épilogue dans lequel il s’adresse à Paris pour évoquer l’alchimie qu’il a opérée, en faisant de sa boue de l’or).
  • Le poète y raconte une rencontre avec une passante impressionnante de beauté (dans les quatrains) ; puis il s’adresse à cette femme qu’il ne recroisera plus.
  • Cette rencontre, comme une épiphanie, permet au poète de s’extirper du Spleen dont le chaos parisien devient l’allégorie, pour connaître un intense moment d’extase. La passante paraît incarner l’Idéal baudelairien, tout en paradoxes : elle séduit autant qu’elle effraie ; son deuil la magnifie, mais sa beauté fait presque d’elle une nouvelle méduse. L’adresse mélancolique du poète est à la fois une méditation sur ce moment disparu et regretté, et un travail de l’imagination, qui sublime la rencontre, en supposant qu’elle aurait pu vraiment se vivre - en projetant dans l’esprit l’idée qu’en réalité, il y a bien eu rencontre, échange de regards.

Vous aurez reconnu les trois réponses aux trois questions qui permettent, souvent, et d'entrer dans une œuvre, et d'en récapituler l'essentiel : qu'est-ce que c'est ? qu'est-ce que ça dit ? qu'est-ce que ça signifie ?


Comment le relire en vue de l’oral ?

Une explication linéaire, à l’oral, c’est une reconstitution de tout le travail de lecture fait en cours, puis prolongé chez vous ; on suit les mouvements du texte, sa progression, comme si on le découvrait au fur et à mesure, alors qu’on sait précisément quelle interprétation d’ensemble on souhaite en donner (je vous renvoie ci-dessus au troisième point de la synthèse, qui répond à “Qu’est-ce que ça signifie ?”).

Ces mouvements du texte, cette progression que nous aurons repérée en classe, bien explicitée à l'oral, permet de donner à votre prestation une architecture ; elle contribue à la clarté de votre propos.

Pour préparer cette lecture reconstituée (je sais l’expression donne l’impression d’une mauvaise recette), voici quelques conseils.

  • Reprenez vos notes, bien entendu. Il vous faut, avec la synthèse proposée ci-dessus et ces dernières, reconstituer une interprétation globale du poème, pour que vous n’en perdiez pas le sens, au moment où vous préparerez une explication linéaire (c’est-à-dire une relecture, expliquée dans le détail, qui suivra la progression du texte).
  • Dans la mesure du possible, on proposera sur Pearltrees les notes d’un ou plusieurs élèves.
  • Aidez-vous du guide de relecture ci-dessous.
  • Aidez-vous des conseils, après le guide de relecture, pour composer une introduction et une conclusion efficaces. ajout du 8 novembre
  • Revoyez mes conseils pour la question de grammaire ci-dessous (tout en bas de la page).

Guide de relecture et de préparation à l’explication : à quoi s’attacher ?

En-dehors de ce qui vous aura paru essentiel, et sur quoi je vous inviterai, texte après texte, à mettre l’accent, pour faire de votre explication une lecture singulière, voici quelques points de passage, sans doute incontournables dans ce poème.

Dans les quatrains, Baudelaire raconte une apparition foudroyante (premier mouvement).

  • Le premier vers exprime de façon condensée le tapage de la rue, et son caractère agressif. Il campe un espace spleenétique d’où surgira bientôt une femme à l’opposé de l’agressivité urbaine. Je vous invite à revoir comment.
  • L’apparition se déploie sur les quatre vers suivants - elle déborde ainsi le cadre de la strophe. Relisez ce qui témoigne du caractère impressionnant de la passante, de l’élégance de sa démarche, des paradoxes qu’elle laisse apparaître, déjà.
  • Le second quatrain évoque la stupeur du poète - revoyez comment, en vous attachant à la construction de la phrase dans le vers 6, notamment. Puis la vision de la passante se précise et prend un tour très baudelairien. Est-ce l’imagination qui prend le dessus ? Les paradoxes en tout cas s’accentuent.

Le sizain - ou les tercets - sont fondés sur une adresse à la passante évanouie (second mouvement).

  • La volta du sonnet - vous rappellerez ce qu’est la volta, ou le tournant du sonnet - paraît concentrer tout le sens du poème : revoyez pourquoi.
  • Dans le premier tercet, vous serez attentif à la façon dont la parole du poète prend son élan pour s’adresser à la passante et pour évoquer son effet sur lui. Je pense notamment à ce qu’on appelle un contre-rejet, avec “Fugitive beauté” (voir la fiche sur la versification que je vous propose sur Pearltrees), mais aussi aux assonances en é, dont nous avons vu la variété (sons É fermés puis ouverts).
  • Le dernier tercet, nous avons pu le dire, exprime le regret de façon très sensible : comment ?
  • L’ultime vers enfin parachève un parallélisme qui fait écho au chiasme du vers précédent, pour engager une rêverie sur l’amour qui aurait pu naître si cette rencontre n’avait pas été qu’éphémère.

Petit complément : une relecture de la rencontre dans les tercets, à l’aide des rimes

Ce qui suit n'est pas forcément à maîtriser ; vous gagnerez à le connaître.

Les exclamations, dans le second tercet, disent la puissance du regret que cette rencontre ait été “fugitive” ; le vers 12 insiste sur l’éternité… de la séparation, dans l’espace (“Ailleurs, bien loin d’ici !”) comme dans le temps (“trop tard ! jamais peut-être !”).

Le vers 13 souligne à quel point les directions prises par le poète et la passante sont diamétralement et irrémédiablement opposées. Un parallélisme, d’une part, met en scène l’ignorance qu’a chacun des deux êtres de la trajectoire de l’autre : “j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais”. Un chiasme, par ailleurs, mime l’éloignement, en ordonnant ainsi les pronoms personnels : je - tu - tu - je.

Et pourtant, dans cette séparation, le vers 14 réintroduit une forme de réciprocité, comme si la rencontre avait eu lieu, même s’il ne fallait considérer en elle qu’un échange de regards - ce que ne disait pas clairement le second quatrain : seul le poète semblait avoir vu (et comme bu la vision de) la passante. En effet, le parallélisme et l’anaphore choisis par Baudelaire cette fois insiste sur ce que ces deux êtres avaient en commun : la conscience de ce coup de foudre :

“Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !”

Le plus-que-parfait du subjonctif, s’il marque l’irréel et le regret (on dirait en français moderne “que j’aurais aimée”, avec le conditionnel passé), précède l’imparfait de l’indicatif, comme si Baudelaire avait dans les yeux de la passante lu qu’elle l’aimait aussi, ou du moins qu’elle était ouverte à cet amour - ou, à minima, à la connaissance de cet amour.

Le premier tercet suggère qu’un échange de regards a eu lieu (“Un éclair…”), que dans la possible ellipse dessinée par les points de suspension s’est jouée l’amorce d’une rencontre, et que tous deux en ont eu simultanément conscience, alors qu’il semblait en son début insister seulement sur la séparation, ce qui nous aurait laissé l’impression d’un coup de foudre à sens unique.

L’analyse des rimes finales renforce cette interprétation.

Le propos suivant pourra vous paraître un peu technique, mais il a pour but de nous donner la pleine conscience du geste baudelairien. En premier lieu, il est intéressant de constater que Baudelaire ne respecte pas le schéma de rimes que l’on rencontre habituellement dans un sonnet depuis le XVIe siècle, à savoir :

CCD EED (sonnet marotique, du nom de Clément Marot, poète du début du XVIe s.)


ou

CCD EDE (sonnet Peletier, du nom de Peletier du Mans, poète de la Pléiade)

Ces deux types d’organisation des rimes, qui remontent donc à l’élaboration du sonnet français au XVIe siècle, sur le modèle offert par Pétrarque (poète italien du XIVe siècle, inventeur du sonnet), donnent une certaine liberté aux tercets, tout en assurant leur cohésion en un sizain (puisque la rime en D du premier tercet en appelle une autre dans le second). Cela correspond bien à l’idée que dans le sizain intervient un changement par rapport aux quatrains.

Cette liberté des tercets, Louis Aragon (poète du XXe siècle, qui a longtemps été une des figures du Surréalisme) la célèbre en évoquant le « corset étroit des quatrains dont la rime est au départ donnée », qu’il oppose à « l’évasion de l’esprit, (la) liberté raisonnable du rêve, des tercets ».

Ces repères étant donnés, observons les rimes dans les tercets du sonnet “À une passante” :

beauTÉ - renAÎTRE - éterniTÉ, peut-ÊTRE - VAIS - saVAIS

Soit un schéma que l’on peut figurer ainsi :

CDC DC’C’ (je note C’ la rime de “vais” et savais”, le son étant seulement légèrement plus ouvert que dans “éternité”.)

Si l’on regarde ces rimes de près, on s’aperçoit que les quatre premières sont croisées, et les deux dernières suivies : CD CD C’C’, comme s’il y avait des retrouvailles finales. En effet, les deux derniers vers riment ensemble, ce qui n'est le cas ni dans le schéma rimique du sonnet marotique, ni dans ce lui du sonnet Peletier. On peut interpréter le choix de ces deux rimes finales comme une insistance sur la réciprocité du coup de foudre et de la conscience que chacun des deux êtres, sans se le dire, en avait (selon le poète).


Textes échos

Ce poème résonne avec bien des œuvres. Si l’on en s’en tient aux textes de Baudelaire, je vous propose de découvrir les possibles échos suivants.

D’une part, ce sonnet a son équivalent en prose dans Le Spleen de Paris, lequel est intitulé “Le désir de peindre”.

Mais on trouve aussi une évocation d’une passante - la même ? - dans le très beau poème “Les veuves”, extrait du même recueil, à la fin duquel on trouve ceci :

Mais ce jour-là, à travers ce peuple vêtu de blouses et d’indienne, j’aperçus un être dont la noblesse faisait un éclatant contraste avec toute la trivialité environnante.
C’était une femme grande, majestueuse, et si noble dans tout son air, que je n’ai pas souvenir d’avoir vu sa pareille dans les collections des aristocratiques beautés du passé. Un parfum de hautaine vertu émanait de toute sa personne. Son visage, triste et amaigri, était en parfaite accordance avec le grand deuil dont elle était revêtue. Elle aussi, comme la plèbe à laquelle elle s’était mêlée et qu’elle ne voyait pas, elle regardait le monde lumineux avec un œil profond, et elle écoutait en hochant doucement la tête.

Ce que dans la description de la passante le sonnet condensait se trouve ici développé par l’élan de la prose (cette écriture qui va tout droit, autrement dit qui ne revient pas à la ligne, qui ne se rétracte pas, mais se développe).

Le rapport du poète à l’anonymat et à l’éphémère s’exprime, nous l’avons vu, dans “Les foules”, mais aussi dans ce passage du “Peintre de la vie moderne”, consacré au peintre Constantin Guys, dont je vous propose ici un autre extrait que celui lu en classe :

“La foule est son domaine, comme l’air est celui de l’oiseau, comme l’eau celui du poisson. Sa passion et sa profession, c’est d’épouser la foule. Pour le parfait flâneur, pour l’observateur passionné, c’est une immense jouissance que d’élire domicile dans le nombre, dans l’ondoyant, dans le mouvement, dans le fugitif et l’infini. Être hors de chez soi, et pourtant se sentir partout chez soi ; voir le monde, être au centre du monde et rester caché au monde, tels sont quelques‑uns des moindres plaisirs de ces esprits indépendants, passionnés, impartiaux, que la langue ne peut que maladroitement définir. L’observateur est un prince qui jouit partout de son incognito.”

Et l’on revient à l’extrait du chapitre IV du même essai, on peut remarquer un écho très sensible avec le sonnet “À une passante”, que je mets en gras ci-dessous :

“Les draperies de Rubens ou de Véronèse ne vous enseigneront pas à faire de la moire antique, du satin à la reine, ou toute autre étoffe de nos fabriques, soulevée, balancée par la crinoline ou les jupons de mousseline empesée.”


2. Préparer l’oral

Pour préparer une introduction efficace

ajout du 8 novembre

L’amorce

Préparez une amorce intéressante, qui contienne en germe votre explication à venir. L’amorce vise à la fois à établir un contact avec l’examinateur, à susciter chez lui, grâce à votre habileté rhétorique, de la bienveillance à votre égard, et à montrer en une phrase que vous avez saisi le texte vers lequel se dirige le propos.

Points de départ possibles pour une amorce (choisissez-en un parmi ceux-ci, ou élaborez votre propre point de départ) :

Rebonjour Madame/Monsieur ; vous m’invitez aujourd’hui à relire le poème “À une passante”. Dans un essai intitulé Le peintre de la vie moderne, Charles Baudelaire écrit que l’artiste doit apprendre à “tirer l’éternel du transitoire”. C’est peut-être ce qu’il parvient lui-même à faire avec ce poème. Né en 1821 et mort en 1867, le poète… (suivent la présentation de l’auteur, du recueil, de la section, et du poème, avant la lecture.)

Rebonjour Madame/Monsieur ; vous m’invitez aujourd’hui à relire le poème “À une passante”. Dans un essai intitulé Exposition universelle, Charles Baudelaire écrit qu’il a trouvé la définition de “son Beau”, et affirme que “le beau est toujours bizarre”. C’est notamment ce qui se dégage de ce poème. Né en 1821 et mort en 1867, le poète… (suivent la présentation de l’auteur, du recueil, de la section, et du poème, avant la lecture.)

Rebonjour Madame/Monsieur ; dans un poème intitulé “Hymne à la Beauté”, Charles Baudelaire s’interroge : “Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme, / Ô Beauté ?”. La même question pourrait bien traverser le poème que vous m’invitez à relire aujourd’hui. Né en 1821 et mort en 1867, le poète… (suivent la présentation de l’auteur, du recueil, de la section, et du poème, avant la lecture.)

Rebonjour Madame/Monsieur ; c’est sous le signe de la boue et de l’or, matériaux de l’alchimie poétique, que nous avons lu Les Fleurs du Mal de Baudelaire, et notamment le poème que vous m’invitez à relire aujourd’hui. Né en 1821 et mort en 1867, le poète… (suivent la présentation de l’auteur, du recueil, de la section, et du poème, avant la lecture.)

Rebonjour Madame/Monsieur ; si la poésie est une alchimie qui permet de transformer le monde, ou l’image que l’on s’en fait, Baudelaire est sans doute un des poètes qui l’a le mieux illustré, notamment avec le poème que vous m’invitez à relire aujourd’hui. Né en 1821 et mort en 1867, le poète… (suivent la présentation de l’auteur, du recueil, de la section, et du poème, avant la lecture.)

Etc.

Suite de l’introduction

Elle doit demeurer brève encore une fois : en entonnoir, comme indiqué ci-dessus, elle vous conduit progressivement vers la lecture du texte, laquelle doit si naturellement advenir en bouche qu’il vous sera inutile de dire “Et maintenant, youpi, passons à la lecture”.

Après avoir situé le texte dans la section dont il est issu, en particulier pour Les Fleurs du Mal, on le présente en quelques mots : c’est le récit d’une apparition foudroyante, sous la forme d’une très belle femme en deuil, suivi d’une adresse à cette femme, après qu’elle a quitté le champ de vision du poète.

Cette brève présentation du contenu thématique du poème s’appuie sur la réponse à la question inaugurale ou de synthèse “qu’est-ce que ça dit ?”.

Attention, lisez bien le titre ! Il fait partie du texte.

Après la lecture

Au terme de la lecture, avant d’engager l’explication linéaire, indiquez quelle est la dynamique, la composition du texte. Ces mouvements du texte seront comme des balises pour structurer votre propos et le rendre d’autant plus compréhensible par votre interlocuteur.

Surtout ne dites pas que le texte est découpé en deux ou trois morceaux. Ce n'est pas une escalope. Préférez simplement indiquer que

le texte est composé de deux mouvements : …

ou que

le texte s’organise autour de…

ou que

le texte s’organise en deux temps : …


Pour préparer une conclusion efficace

C’est sans doute en conclusion que votre interprétation du texte prendra tout son sens. On peut aussi imaginer de la dire avant la lecture, mais il me paraît nettement plus pertinent, à la réflexion (petit correctif par rapport à ce que j’ai dit en demi-groupe le 8 nov.), d’énoncer en toute fin cette interprétation - ce que l’une d’entre vous appelait problématique - mot que je récusais quelque peu.

Ainsi, il sera temps, pour “À une passante”, en conclusion, de mettre en valeur ce qui vous a semblé être le cœur du poème. Reprenez vos notes, votre réflexion, et les éléments qui figurent en troisième point de la synthèse ci-dessus.

La conclusion sera brève.

Facultativement, vous pouvez tenter ensuite une ouverture, en disant par exemple (voir sur Pearltrees les conseils en audio) :

ce poème fait écho à…

Ne dites pas : je vais faire l'ouverture - ou pire, je vais ouvrir le texte (on ne l'ouvre pas plus qu'on ne le découpe). On ne dit pas plus cela que “je vais introduire”. Donc :

ce poème fait écho à… fait penser à… n’est pas sans évoquer…

Je vous l’ai conseillé en audio, on peut revenir habilement sur la perspective de lecture de la boue et de l’or, c’est-à-dire de la poésie comme manière de changer la réalité ou notre représentation du réel, dans ce qu’il a de plus laid ou banal, vers ce qu’il peut avoir de plus merveilleux et enchanteur.

Ensuite, enchaînez avec la question de grammaire.

Je vous propose à présent une réponse à la question de grammaire que vous m’avez posée.


Constantin Guys - Estaminet - 1847

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