Nous venons d’achever la lecture de la première scène de la première partie de Juste la fin du monde : voici un guide pour que vous relisiez l’extrait à travailler dans la perspective de la première partie de l’épreuve orale (l’explication de texte).

Ce n'est en rien une explication de texte toute faite : une telle proposition n'aurait pas de sens, puisque chaque lecteur met en jeu sa sensibilité lorsqu'il interprète un texte littéraire. Mais l'objectif, avec les pistes de réflexion proposées, est bien de vous aider à bâtir votre future explication.

N’hésitez pas à revenir vers moi pour toute question.


Notre extrait

Du début à “c’est ce que je voulais dire” (réplique de la Mère).


Lorsque vous expliquez un extrait de scène de théâtre…

Toute explication est affaire de rencontre avec le texte, c’est-à-dire de sensibilité (forcément personnelle), bien sûr ; mais on lit aussi en fonction de ce qu’on sait du texte, même si on sait peu de choses. Son genre, l’époque de sa création, le type de texte dont il s’agit…

Mobilisez donc vos connaissances, c’est-à-dire ce que vous savez du genre théâtral grâce au travail des années passées : on ne lit pas du théâtre comme on lit un roman. Le sens naît de l’articulation entre les répliques, les didascalies, la dynamique du dialogue, le caractère des personnages, leurs relations… Je vous propose ci-dessous quelques pistes, comme un prisme de lecture, pour entrer dans l’explication (à l’oral) ou le commentaire (à l’écrit) d’une scène de théâtre. Elles sont extraites d’un billet spécifiquement consacré à l’exercice du commentaire littéraire.

  • Exploitez toute information que vous auriez sur la situation de l’extrait dans l’œuvre, et sur son contenu : scène d’exposition, dénouement, scène de reconnaissance qui va faire basculer l’histoire, scène d’affrontement, scène de tromperie…
  • Quels sont les personnages ? Sont-ce des types de personnages (correspondant le plus souvent à des positions sociales) ? Et sinon, leur connaît-on un rôle défini dans la dramatis personae (la liste des personnages figurant en tête du texte) ? Quelles sont les relations entre eux ? Comment le lecteur découvre-t-il cela ?
  • Ordre dans lequel interviennent les personnages, longueur des répliques (tirades ? répliques ? échanges brefs appelés stichomythies ?) ; dialogue, monologue, aparté (voyez le type de réplique proposé)… Pensez à la forme et la distribution des répliques, et ce qu’elle révèle de la situation et des personnages.
  • Examinez le texte didascalique et les didascalies internes (c’est-à-dire les indications scéniques fournies par les répliques des personnages elles-mêmes). Décor, gestuelle : tout fait sens au théâtre ; Roland Barthes, je l’ai dit, parle d’une “polyphonie informationnelle”.
  • Rappelez-vous qu’un texte théâtral s’énonce d’une façon singulière : il est écrit par un dramaturge, mais proféré par des personnages (c’est ce qu’on appelle la double énonciation du texte théâtral) ; il est adressé par un personnage aux autres personnages, et aux spectateurs dans le même temps (c’est ce qu’on nomme la double destination du texte théâtral). Il arrive qu’une réplique ou que toute une scène joue très nettement de ces caractéristiques propres au genre.
  • Au théâtre, le spectateur sait qu’il entre provisoirement dans une fiction, qu’il va temporairement tenir pour vraie (c’est ce qu’on nomme la suspension du jugement). Or, parfois, un personnage peut nous rappeler que nous sommes au théâtre, que tout est imagination. C’est une façon de jouer avec la théâtralité du spectacle.
  • Comment pourrait-on mettre en scène cet extrait ? Une telle question, on l’a vu, aide à comprendre le sens, ou à ouvrir un champ d’interprétations possibles.
  • À quoi la scène aboutit-elle ? Fait-elle avancer l’action de la pièce ?
  • Quelles émotions le texte peut-il susciter chez le spectateur ? (Telle réplique, au ton comique, fera rire le public ; telle remarque peut être empreinte d’ironie de la part du dramaturge, et pas forcément du personnage, dont il se moque peut-être, ce qui peut créer entre l’auteur et le spectateur une forme de connivence…).

Notre première lecture

Malaise, gêne, entrain de Suzanne en contrepoint, incarnation par les personnages de leur rôle au sein de la famille (Antoine, frère aîné, voire père de substitution ; Suzanne, petite sœur, encore enfant ? Catherine, à l’écart ; Louis, au seuil de la maison, tel que vous l’avez imaginé…) : autant de pistes d’interprétation judicieuses, fécondes, que vous avez proposées en cours et sur lesquelles je vous invite à réfléchir à nouveau.

Vous n'avez pas à répéter sans distance ce que nous nous sommes dit, mais à choisir et formuler ce qui donnera le LA de votre explication : imaginez que vous soyez metteur en scène : quelle direction donneriez-vous à vos comédiens ? Par exemple : je veux que vous interprétiez le malaise lors du retour de Louis. Au Bac, cela donnera un projet de lecture, un angle d'approche, c'est-à-dire l'expression du fil conducteur de votre démonstration :

“Je me propose d’interpréter cet extrait comme une scène marquée par la gêne, comme si la rencontre menaçait à chaque réplique de tourner à la confrontation.”

Vous le voyez, j’évite sciemment de vous recommander des constructions interrogatives (“On se demandera comment…”, “En quoi cette scène…) : elles ne sont nullement prohibées, bien entendu. Mais je vous incite à trouver une formule qui marque davantage votre engagement, votre implication dans le choix interprétatif. Et cela permet, au passage, de vous épargner le risque d’erreur grammaticale dont nous reparlerons avec l’emploi les interrogatives indirectes.


Pour aller plus loin

De nos premières impressions, nous pouvons partir pour découvrir les enjeux profonds de cette scène. À vous de vous y efforcer en relisant l’extrait. Je vous accompagne ici quelque peu dans cette tâche.

  • Sur le plan de l’intrigue, il s’agit d’une scène de retrouvailles après une longue séparation ; quels problèmes ces retrouvailles peuvent-elles poser ? Que peuvent ressentir les différents personnages ? Qu’est-ce qui est dit, qu’est-ce qui est éventuellement tu ?
  • Sur le plan dramaturgique, c’est-à-dire s’agissant de la construction de la pièce, cette scène apparaît comme une seconde scène d’exposition (après le Prologue), voire comme la véritable scène d’exposition : en commençant sa pièce, que doit nous faire découvrir le dramaturge ? De quelles informations le spectateur a-t-il besoin pour comprendre la suite de la pièce ? (Cette question recoupe la première, mais je vous indique par là que l’on peut changer d’angle d’analyse.)

Repérez la progression, autrement dit les mouvements (les étapes) de l’extrait

Indiquer la composition du texte après avoir formulé un angle de lecture : ces deux étapes ne sont pas exigibles à l'oral ; aucun texte officiel n'y fait référence. C'est une proposition que je vous fais, compte tenu de ce qui se pratique souvent à l'examen. L'intérêt d'avoir cerné une progression textuelle, c'est aussi, en aval, de pouvoir regrouper ses remarques, étape par étape, plutôt que de tenir un discours aux airs d'inventaire.

Proposition 1 (1A)

On peut considérer que notre extrait se compose de deux temps :

  • les présentations faites par Suzanne (jusqu’à la réplique de Louis, qui se résout à “embrasser” Catherine)
  • l’évocation de son absence au mariage d’Antoine et de Catherine, avec en particulier les dernières répliques de la Mère.

Mais on peut préférer mettre en évidence des mouvements plus brefs, avec une décomposition plus détaillée :

Proposition 2 (1A)

  • Suzanne, en metteuse en scène, fait les présentations (jusqu’à “Comment veux-tu ? Tu sais très bien”),
  • avant que le geste de Louis, à savoir serrer la main de Catherine, ne provoque l’étonnement et la discussion (à partir de “Je suis très content”).
  • (à partir de “En même temps, qui est-ce qui m’a mis une idée pareille en tête”) La Mère s’étonne, ou fait mine de s’étonner que Louis ne connaisse pas Catherine, et prétend avoir oublié le passé ; cette dernière le dédouane de son absence au mariage (vous noterez que cet étonnement apparaît dès la première réplique de la Mère, mais notre extrait se clôt sur les interventions de ce personnage, qui prolongent précisément ses tout premiers mots).

En 1B, vous avez eu des lectures un peu différentes : je les restitue ici :

Proposition 3 (1B)

  • Suzanne fait les présentations (voir ci-dessus), jusqu’au moment où Louis tente de serrer la main de Catherine,
  • et ce moment de rencontre et de retrouvailles se poursuit dans la gêne.

Proposition 4 (1B)

Là encore, une lecture affinée est possible :

  • Suzanne orchestre la rencontre (première réplique),
  • suscitant ainsi l’agacement d’Antoine,
  • puis Louis peine à trouver le geste juste pour saluer Catherine,
  • ce qui conduit à de nouvelles réactions,
  • et à l’évocation de son absence au mariage.

Certains textes, et c’est le cas de celui-là, ne se laissent pas enfermer dans une recomposition figée et définitive. Deux critères de choix : lisez le texte à voix haute, faites-vous votre propre idée des articulations, des silences dans l'extrait (critère théâtral et littéraire) ; en vous entraînant à voix haute, lors du développement de votre explication, voyez si votre discours est plus clair lorsque vous multipliez les étapes (comme on multiplierait les paragraphes à l'écrit), ou si au contraire, deux suffisent voire améliorent la clarté de votre propos (critère pratique et rhétorique).

En fait, ce qui rend la décomposition difficile ici, ou toute décomposition ci-dessus à la fois recevable et à nuancer, c’est que les personnages ne sont pas tout à fait ensemble. Ainsi, les répliques de la Mère sont toutes orientées par ce qu’elle nomme l’oubli : sa première intervention prépare les suivantes.


Guide pour analyser le texte, en trois étapes

Je fais le choix d’une décomposition en trois temps.

Qu'est-ce que l'analyse littéraire, si je peux le résumer en un mot ? Je vais reprendre la réponse d'une de vos camarades cette année : cela consiste à "expliquer avec le texte, avec les conséquences du texte (sur le sens)". On entrelace donc dans son propos, ce que j'ai fait en cours, une ou plusieurs INTERPRÉTATIONS, dont on démontre la pertinence par des REMARQUES SUR L'ÉCRITURE, EN CITANT le texte. Je vous propose une vidéo sur Pearltrees pour bien comprendre ce qu'on peut espérer de vous, et comment le mettre en œuvre.

Pour des raisons d’économie, ci-dessous, je ne cite pas le texte : vous devrez le faire à l’oral.

La scène s’ouvre sur la rencontre laborieuse entre Catherine et Louis, avec Suzanne en chef d’orchestre.

Pensez à formuler pour vous-même la phrase qui présentera chaque mouvement. Si vous répétez ce qui est écrit ici, alors que ce n’est qu’une aide, une suggestion pour relire le texte, vous allez tous donner l’impression de répéter le cours de votre professeur, ou le contenu d’un support lu sans réelle digestion de l’esprit, et appris par cœur. Ce sera du plus mauvais effet.

L’ESSENTIEL

  • Choisissez une interprétation qui vous semble pertinente pour la première réplique de Suzanne : enthousiasme excessif ? Gêne occasionnée par cette rencontre étrange ? Effort pour dissimuler le malaise familial face au retour de Louis ? Sur le plan de l’analyse, à votre place, je m’appuierais, pour étayer mon interprétation, sur le caractère saccadé de la première réplique de Suzanne, en commentant la brièveté des phrases, leur simplicité syntaxique (ligne 1, 3 et 4, elles reposent sur une simple tournure présentative), les répétitions, et les retours à la ligne. 
  • Je vous invite à observer, ensuite, ce qui fait que les autres personnages sont en retrait, qu’ils se situent comme des spectateurs de la scène, mais avec des réactions différentes (Antoine, cassant), qu’ils soient dans une position délicate (Catherine, belle-sœur, Louis, longtemps absent : voyez la brièveté de leurs interventions), ou qu’ils semblent décalés par rapport à la rencontre (la Mère). Pour cette dernière, sur le plan de l’analyse, attachez-vous au rôle de la juxtaposition dans sa réplique, ainsi qu’aux répétitions et à la syntaxe (fait-elle des phrases correctement construites, en tout cas aisément lisibles et compréhensibles ? Pensez à la disparition de certains mots). Songez à leur rôle dans la famille, tel qu’on peut le supposer.
  • Enfin, vous pouvez souligner l’étrangeté du dialogue : montrez, en vous penchant sur la succession des répliques, qu’elles ne s’enchaînent pas, autrement dit que les personnages ne se répondent pas, ou pas tout à fait (même si Catherine parle bien à Antoine). Vous pouvez très bien proposer à votre examinateur ce que vous imagineriez comme metteur en scène : les entendrait-on successivement ou simultanément ?

Pour affiner votre explication

La rubrique “Pour l’essentiel” est conçue pour vous permettre de bâtir votre explication… sans perdre courage face à toutes les pistes d’analyse que l’on pourrait proposer. Ici, je vous invite à aller plus loin, et à étoffer vos observations sur l’écriture.

Première réplique de Suzanne
  • Quel rôle Suzanne tient-elle dans ce début de scène ?
  • À lire les mots de Suzanne, quel effet produit l’absence de didascalie ? Quel effort le lecteur doit-il faire s’il n’est pas spectateur de la pièce ?
  • Quel effet produisent les retours à la ligne ? Et les reprises ?
  • Que peut-on dire de la longueur des phrases ? Qu’est-ce que cela peut suggérer alors que Louis entre tout juste et rencontre Catherine ? Quel ton choisir pour Suzanne ?
  • Que penser, même sur le plan sonore, des répétitions, des sons de cette première réplique, s’ils traduisent quelque chose de l’attitude de Suzanne ?
L’échange entre Antoine et Catherine
  • Comment Antoine se répète-t-il exactement ? Qu’est-ce que cela suggère quant à son rapport avec Suzanne ?
  • Que pensez-vous des répliques entre Catherine et Antoine ? Comment sont-elles dites ? En aparté ? Justifiez votre réponse.
  • Repérez la didascalie interne dans les répliques d’Antoine. Que dit-elle de Suzanne ?
La mère et Antoine
  • Que disent les répliques de la Mère quant à sa compréhension de ce qui se passe ? Sa place par rapport aux autres ? Qu’est-ce que cela suggère, dans cette scène d’exposition, quant à son rôle dans l’œuvre ? Quel lien faire avec la façon dont elle est désignée ?
  • Une scène d’exposition donne des informations sur le passé des personnages. Vous pourriez montrer que Lagarce joue avec cet horizon d’attente de toute scène d’exposition, en commentant la phrase d’Antoine adressée à sa mère : « tu sais très bien » ? Quel “savoir” le spectateur est-il invité à deviner, et qui ne lui sera explicitement délivré que plus loin ?

La scène met ensuite l’accent sur les premiers gestes de la rencontre : faut-il se serrer la main ou s’embrasser ?

Je commencerais l’étude de ce mouvement à partir de la réplique de Louis : “Je suis très content”.

L’ESSENTIEL

  • Rappelez-vous ce qu’est une didascalie interne : “Tu lui serres la main” en est une : une indication scénique donnée dans la réplique d’un personnage. C’est bien sûr une stratégie d’écriture dramaturgique très efficace. Même la réplique de Louis (“Je suis très content”) en est une : on comprend, rétrospectivement, qu’il la prononce en s’approchant de Catherine pour lui serrer la main. Mais rappelez-vous à cette occasion certaines des scénographies que vous aviez imaginées, ou qui vous ont été proposées en cours, et qui insistaient sur la distance entre les personnages.
  • Vous commenterez en particulier le rôle de Suzanne, à nouveau. À vous d’interpréter ce qui semble, a minima, de l’étonnement. Étayez bien votre propos : observez les répétitions, expliquez l’effet du changement de pronom, soulignez le rôle de la juxtaposition. Faites attention, il n’y a pas là que sa réaction au geste de Louis : le texte développe le motif de l’imagination. Pensez à la contradiction entre “Tu ne changes pas” et “comme ça que je l’imagine”.
  • Soulignez évidemment le rôle d’Antoine à nouveau (vous pourrez insister sur le crescendo, c’est-à-dire la gradation qui caractérise l’ensemble de ses répliques dans la scène), ainsi que la réaction de Louis à l’attente de Suzanne (sincère ? artificielle ? gênée ?).

Pour affiner votre explication

Louis, Catherine, Suzanne
  • Que pensez-vous de la façon dont Catherine se présente ?
  • Comment interpréter la phrase de Louis : “Je suis très content” ? Peut-elle être sincère ? A-t-il le choix de ce qu’il peut dire à cet instant ?
  • Et la réponse de Catherine ?
  • Comment le lecteur est-il invité à imaginer les gestes des personnages, dans l’échange de répliques entre Louis et Catherine ?
  • Quels sont ces gestes et que suggèrent-ils sur les personnages et leurs relations ?
  • Comment les personnages se répondent-ils, et même : se répondent-ils ? Faut-il envisager ces répliques comme étant dites les unes après les autres, ou simultanément, selon vous ?
Longue réplique de Suzanne (« Tu lui serres la main… »)
  • Que suggèrent les changements de pronoms (Tu, il) ? Imaginez Suzanne en action.
  • Comment voyez-vous Louis en scène par rapport aux autres personnages ? Qu’est-ce que cela dit de sa place dans la famille ?
  • Pensez à commenter cette phrase : « Il ne change pas, comme ça que je l’imagine ». Que penser de ces verbes ?
  • Que pensez-vous de l’affirmation de Suzanne à la fin de cette réplique, construite autour de la reprise du verbe trouver (“tu te trouveras, vous vous trouverez sans problème, elle est la même, vous allez vous trouver”) ?
  • Que signifie son dernier « Catherine. » ? Une invite à embrasser Louis ? S’il faut y voir une didascalie interne, quel serait le geste de Suzanne d’après vous ?
Antoine, Suzanne, Louis
  • Les personnages se parlent-ils (Louis à Suzanne, Catherine à Suzanne) ? Se répondent-ils ? Pensez comme toujours à bien justifier vos réponses en citant le texte, en l’examinant. S’ils ne se répondent pas, que peut-on penser de l’atmosphère de cette rencontre ?
  • Comment comprendre ce que dit Louis lorsqu’il passe de « très content » à « très heureux » ?

Enfin, notre extrait se clôt sur la figure de la Mère, qui recompose sa mémoire laborieusement - ou avec mauvaise foi.

L’ESSENTIEL

  • Ce dernier mouvement de votre explication est centré sur la Mère : c’est l’occasion de montrer le caractère décalé de ses répliques par rapport à l’échange. Mais même si le personnage n’est pas cohérent, pensez à commenter la cohésion de ses répliques : elles semblent se suivre. 
  • J’insisterais, à votre place, sur l’attitude très particulière de la Mère : gêne ? déni ? volonté de recomposer sa mémoire pour gommer l’épisode de l’absence de Louis au mariage ? Étonnement feint pour mieux renvoyer la responsabilité de cette absence aux autres ?… Sur le plan de l’analyse, justifiez votre propos en commentant le rôle de la question initiale (une question rhétorique) ; celui des verbes qui sont au cœur de sa parole et qui s’y télescopent : savoir, connaître, imaginer (le même que celui de Suzanne), croire pensable ; celui des retours à la ligne (quelle attitude peuvent-ils traduire ?).
  • Bien sûr, ayez une attention particulière pour la façon dont sont désignés les deux fils. Ce passage, noté par une de vos camarades en cours, est très important.
  • Pour Catherine, pensez à la construction de sa phrase : le sujet, ce sont “les occasions”. Pourquoi ? Qu’essaie-t-elle d’occulter ? Quelle attitude est la sienne à l’égard de Louis ?
  • La réplique d’Antoine s’inscrit dans le registre cassant de ses précédentes interventions. Mais on peut également en faire une lecture métathéâtrale (comme ci-dessus) : nous sommes dans une scène d’exposition ; Lagarce nous apprend qui sont ses personnages, mais sans lourdeur : il serait inutile d’en dire plus, car la Mère “sait ça parfaitement”.
  • La dernière réplique de la Mère mérite d’être commentée pour sa construction chaotique (à nouveau, les juxtapositions sont légion), la brièveté des propositions, les contradictions entre savoir et mémoire, le changement de temps (j’oubliais, j’avais oublié). Elle se clôt sur l’un des leitmotivs de la pièce.

Pour affiner votre explication

La Mère
  • Quelle place, dans l’ensemble, pour la Mère dans cette scène ?
  • Répond-elle à quelqu’un ? À qui parle-t-elle ? Nous sommes au théâtre : il est fréquent, jusqu’au XXe siècle, que les dramaturges travaillent soigneusement l’enchaînement logique des répliques. Est-ce le cas ici ?
  • Montrez que la réplique qui commence par “En même temps…” a été préparée par sa toute première réplique.
  • Quel verbe emploie-t-elle, elle aussi, à l’instar de Suzanne ? Que peut-on en penser ?
  • Vous pouvez aller plus loin : je vous invite à regarder *les* verbes qu’elle emploie dans cette réplique, et qui semblent ricocher les uns sur les autres : ils livrent une image en réduction des relations familiales…
  • Examinez l’alternance des pronoms de 2e et de 3 personne, et la façon dont la Mère reformule son propos, parfois le corrige (“qu’ils ne se connaissent / que vous ne vous connaissiez pas”). Rappelez-vous ce qu’est la double destination du texte théâtral (un texte adressé par un personnage aux autres personnages et au public). Comment Lagarce met-il à profit cette caractéristique constitutive du texte théâtral ? Quelle image cela donne-t-il de cette famille ?
  • Comment la Mère désigne-t-elle Antoine et Louis au milieu de sa réplique ? Que découvre-t-on ainsi ?
  • Relisez sa dernière phrase : qu’en pensez-vous ? Quel effet le “Vous” produit-il ?
Catherine et Antoine
  • La réplique de Catherine, qui suit, est-elle utile ? Si oui, pour qui (voir, plus haut, ma remarque sur la destination du texte théâtral, c’est-à-dire à qui il est adressé) ? 
  • Pourquoi la voix passive est-elle employée par Catherine (dans « les occasions ne se sont pas trouvées », le sujet du verbe est : “les occasions”) ? Quel aurait pu être le sujet d’une phrase à la voix active ? Que Catherine contourne-t-elle ainsi ? Comment interpréter cette intervention à la suite du propos de la Mère ?
  • Que pensez-vous de la réplique d’Antoine ? Si on doit la comparer à celles des autres personnages, que peut-on dire et induire de sa longueur ? Quelle idée nous faisons-nous de ce personnage, compte tenu de sa façon de répliquer aux autres ?
La Mère
  • Comment caractériser l’expression de la Mère dans cette nouvelle réplique : diriez-vous qu’elle est construite ? Vous pouvez souligner l’importance de la juxtaposition dans la composition de la phrase.
  • Observez les temps qu’elle emploie successivement. Qu’en penser ?
  • « toutes ces autres années » : que signifie cette expression ? En quoi ont-elles été « autres », pourquoi cet adjectif ? 
  • « C’est ce que je voulais dire » : que pensez-vous de cette phrase (emblématique de la pièce) qui suggère que la Mère est arrivée à exprimer un point de vue clairement ? En quoi annonce-t-elle un leitmotiv et une problématique essentielle de la pièce ?

Attention à l'art de la reformulation chez Lagarce, chez qui abondent répétitions et variations. On lit souvent que la figure de style centrale de la pièce serait l'éparnorthose. N'abusez pas de cette référence : il y a épanorthose lorsque la mère dit : "c'est ce que je voulais dire", parce qu'elle explicite la correction faite préalablement, à savoir : "j'avais oublié", transformé en "je ne me souvenais pas à ce point". L'épanorthose est une correction explicitée. On parlera de correction ou de reformulation lorsque la Mère dit : "qu"ils ne se connaissent, / que vous ne vous connaissiez pas".


Pour préparer la conclusion

Vous avez peut-être été conseillés ainsi, l’an passé, ou précédemment : trois questions assez efficaces permettent aussi bien d’entrer dans une lecture que de récapituler ce qu’on a compris et construit, au terme de l’interprétation. Qu’est-ce que ce texte ? Que dit-il ? Que signifie-t-il ?(C’est-à-dire quelle en est la portée, quels en sont les enjeux, que suggère-t-il implicitement ? Ces dernières formules sont des variantes les unes des autres.)

On pourrait donc récapituler ainsi, à des fins de mémorisation, comme pour préparer une conclusion :

  • Cet extrait se situe au début d’une scène d’exposition.
  • Il montre des retrouvailles laborieuses entre Louis et les siens.
  • S’agissant des relations entre les personnages, il révèle déjà… (à vous de compléter, en repartant de votre fil conducteur ou projet de lecture).

Proposition de synthèse : le début de la scène 1 : un condensé de la pièce ; d’impossibles retrouvailles ; une tension sourde

  • En réduction, cet extrait de la scène 1 annonce la suite de la pièce : Catherine évoquera les enfants ; la Mère reviendra sur le temps perdu et les dimanches ; Suzanne confrontera son image de Louis au frère qu’elle retrouve, entre joie de lui dire qui elle est, et reproches au frère qui l’a abandonnée ; Antoine, ici tout en répliques sourdes et brèves, éclatera à la fin de la pièce : c’est avec lui que culminera la tension.
  • La pièce s’annonce comme une tragédie familiale. Louis est venu annoncer sa mort, mais il est presque mutique ici, et pris dans des logiques de conventions sociales ; son retour n’est pas vécu de la même façon par les différents membres de la famille (joie peut-être excessive, distance agacée, déni…) : les personnages ne parviennent ni à se retrouver, ni à se parler, ni à se connaître. Le texte présente des répliques étranges et parfois étrangères les unes aux autres, comme les monologues interrompus à quoi ressemblent celles de la Mère. L’échange peine à se faire.
  • Comme la pièce, la scène tout entière est orientée par sa fin (c’est ainsi qu’écrivait Racine : il partait du dénouement de ses pièces pour en construire toute l’architecture). Dans notre extrait, les retrouvailles entre Antoine et Louis ne se font pas ; mais elles aimantent toute la scène (puisque rencontrer Catherine, ce pourrait, ce devrait être retrouver Antoine) : or c’est par cette confrontation entre les deux frères que l’intrigue familiale s’achèvera.
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