Voici un guide de travail sur ce très beau poème de résistance qu’est le fragment 141 des Feuillets d’Hypnos de René Char.

Bonne relecture !

(La période m’obligeant à rédiger assez rapidement ces guides, il se peut que j’y aie laissé des erreurs : n’hésitez pas à me les signaler le cas échéant.)


Situer le texte

Je vous livre de nouveau ici des éléments assez nombreux ; faites votre miel : évitez les introductions encyclopédiques et hypertrophiées ; allez à l'essentiel.

Je vous invite à reprendre vos notes pour présenter René Char en quelques mots :

  • influence d’Héraclite ;
  • amour de Rimbaud ;
  • premiers pas en poésie au sein du groupe des Surréalistes ;
  • entre 1942 et 1944, sous le nom de capitaine Alexandre, chef du secteur de l’Armée Secrète Durance-Sud, puis chef de la section atterrissage parachutage de la zone sud …).

Sur l’œuvre : Feuillets d’Hypnos, et son contexte de création

  • René Char (1907-1988) réunit dans ce livre 237 “feuillets” : des récits liés au quotidien de la guerre et de la Résistance, qui relatent des réalités parfois triviales et dures, mais aussi de brefs poèmes en prose proches de l’aphorisme à la manière du poète de l’Antiquité grecque Héraclite.
  • Bref rappel sur le poème en prose : cette forme de poème existe depuis le XIXe siècle : il a probablement été inventé par Aloysius Bertrand, puis rendu célèbre par Baudelaire, et déployé avec éclat par Rimbaud, pour le dire de façon rapide et schématique.
  • Le poète renonce à la publication durant la guerre, mais aussi à l’ampleur du verbe hugolien (il veille à « ne pas demeurer dans la stratosphère du Verbe », comme il l’écrit dans le feuillet 19), à l’illusion romantique (sa parole est sans doute libératrice, ne serait-ce que pour lui-même, mais contrairement aux poètes romantiques du XIXe siècle, il n’en fait pas un vecteur de changement du monde).
  • Char efface en somme sa propre figure pour mettre en avant, de façon fictive, celle d’Hypnos, dieu du sommeil, fils de la nuit et frère jumeau de Thanatos, dieu de la mort. Ce choix, qui correspond aussi à la période définie par Char comme celle couverte par le recueil (l’hiver 1943-1944 - alors qu’on sait que les premiers textes sont plus anciens), est empreint du sceau du renoncement. On peut voir aussi dans cette figure d’Hypnos, rattachée à la nuit, celle du maquisard précisément, que la nuit protège et dissimule.
  • Le nom “feuillets” remplace le terme “carnet” initialement choisi par Char pour nommer cet ensemble de notes prises pendant la période ; sa poésie est déliée, au sens figuré comme au sens propre : Char retrouve son carnet, en partie détruit, et en libère les feuilles avant de les retravailler en vue de leur publication en 1946.

En somme, dans ce livre, René Char - Hypnos est à la fois un poète en sommeil et un poète combattant, qui entend « agir en écorché plutôt qu’en guerrier ». Ses textes, écrits au gré des circonstances, ne prétendent pas à l’universalité, mais opèrent un repli sur l’action du maquis et sur l’intériorité du résistant, lieux d’où, en parallèle de l’action, se déploie une poésie chargée de refonder l’homme.


Élaborer un projet de lecture

Je vous renvoie ici à vos notes. Vous savez maintenant comment échafauder un tel projet, donner à votre explication un fil conducteur, que vous déploierez tout au long de votre oral, avant de réunir vos hypothèses à la toute fin.

Aidez-vous si nécessaire des éléments que je fais figurer ci-dessous pour vous faire réfléchir à des pistes de conclusion possibles.


Préciser comment le texte est composé (indiquer les mouvements du texte)

Je le rappelle, cela n'est pas exigible au Bac. Cependant, beaucoup de candidats précisent quels sont les mouvements du texte ; l'intérêt est surtout pour vous d'organiser une lecture progressive, construite, avec des transitions claires. Lorsque vous commentez un mouvement en particulier, ne soyez pas trop prisonnier des lignes ; au contraire, circulez, lisez le mouvement en question plusieurs fois, sous plusieurs angles. Ce sera particulièrement intéressant dans le cas d'un texte bref comme celui-ci.

Première lecture possible, en matière de composition.

  • Le poète nomme et caractérise divers fragments de la nature et de son environnement.
  • Puis dans une ultime phrase, comme si cette nature harmonieuse et réunie lui en donnait la force, il défie “le diable” et les menaces qui pèsent sur lui et sur ses hommes.

Variante :

  • Le poète nomme et caractérise divers fragments de la nature et de son environnement,
  • au sein desquels apparaissent progressivement plusieurs figures humaines (un visage, un buste, un compagnon accroupi).
  • Puis dans une ultime phrase, comme si cette nature harmonieuse et réunie lui en donnait la force, il défie “le diable” et les menaces qui pèsent sur lui et sur ses hommes.

La variante proposée vous permet, je crois, une articulation plus fine de vos remarques. Je fonde le développement suivant sur elle.


Expliquer le texte en détail

Dans les premières phrases du texte, le poète nomme et caractérise divers fragments de la nature et de son environnement.

Rappel : à l'instar des guides de relecture précédents, celui-ci attire votre attention sur des choix d'écriture particuliers (vous noterez que je privilégie toujours cette formule à celle des "procédés d'écriture"). Vous aurez donc souvent des propositions de points à observer, desquels induire un sens ensuite. Mais une fois dans la préparation d'un oral, et lors de sa mise en œuvre face à l'examinateur, énoncez en premier lieu la remarque que vous souhaitez faire sur le sens, puis étayez-la d'une observation sur l'écriture. Sinon, vous donnerez la malheureuse impression d'un catalogue de relevés, sans cohérence, ni volonté de démonstration. En d'autres termes, on doit entendre ce que vous voulez démontrer, avant d'écouter votre démonstration.

  • Même si ce n’est pas un titre, la mention du numéro “141” vous donne l’occasion d’un commentaire sur l’esthétique du fragment qui caractérise l’ensemble des textes du livre, et singulièrement celui-ci.
  • Que dire du mot-seuil forgé par René Char : “contre-terreur” ? Pensez à commenter le déterminant défini (comment l’interpréter, par opposition à un déterminant indéfini par exemple, qui donnerait : “une contre-terreur, ce serait…” ?)
  • Le texte est fondé sur deux figures de construction : d’une part, sur une anaphore : celle de la tournure présentative “C’est…”. D’autre part, le texte se déploie suivant le principe de l’énumération. Comment interprétez-vous le fait de définir à plusieurs reprises ce qu’est pour Char la “contre-terreur” ?
  • Pour aller plus loin : sur un plan esthétique, ce qui est intéressant, c’est que par cette tournure, Char efface un élément très fréquent de la poésie lyrique : le “Je” (le prénom qui désigne le sujet lyrique).
  • Pourquoi un déterminant démonstratif ici selon vous : “ce vallon” ? Ce même déterminant, Char l’emploie à plusieurs reprises dans le poème, avec sans doute le même effet. Sont-ces des éléments de la nature qu’il saisit par la vue (ce que corroborerait l’emploi du présent) ? Ou les a-t-il vues, et se les rappelle-t-il ?
  • Le vallon peut faire écho à un poème que vous connaissez.
  • Je vous invite à observer et faire sonner les consonnes (donc ici, les allitérations) : “la conTRe-TeRReuR, c’est ce vaLLon que Peu à Peu le Brouillard CombLe”. Qu’en pensez-vous ? Plus loin, Char recourt à une image qui pourrait bien trouver son sens ici : celle de la “pesanteur bien répartie”.
  • Pensez aussi aux assonances (les sons vocaliques) : “vallon”, comble”

Rappelez-vous : les sons n'ont jamais de sens en eux-mêmes. On rencontre encore des interprétations au Bac et sur la toile qui évoquent des sons supposément "durs", ou doux, et ainsi de suite... Proscrivez ces lectures totalement arbitraires. En réalité, un son n'est dur que rapporté au mot qui le déploie, ou à d'autres sons auxquels l'écrivain l'a manifestement opposé. "Tintement" et "contre-terreur" comportent tout deux T, par exemple : mais l'allitération en T véhicule-t-elle la même sensation, et partant, le même sens ? Par voie de conséquence, lorsque vous interprétez la répétition d'un son donné (allitération ou assonance), ou encore d'un rythme particulier, reportez-vous, tout simplement, et en toute sérénité, au sens littéral de l'extrait concerné.

  • Enfin, examinez le rythme : c’est ce vallon / que peu à peu / le brouillard comble. Qu’en dire selon vous ?
  • De même, je vous invite à être sensible tant à l’image qu’aux sons, et à les interpréter dans le segment suivant : “c’est le fugace bruissement des feuilles comme un essaim de fusées engourdies”. Pourquoi pas faire entendre aussi la régularité des 10 dernières syllabes (à partir de “comme”).
  • Prenez le temps de décomposer, puis de recomposer l’image de l’ “essaim de fusées engourdies”. Que suggère la première association (essaim de fusées), et l’oxymore (“fusées engourdies”) ?
  • Voyez si des parallèles sont possibles avec ce qui suit : par exemple, les “mille traits” que tirent les insectes sur “l’écorce tendre de la nuit”.
  • Faut-il voir aussi, dans ces “mille traits”, et dans cette “pesanteur bien répartie”, une référence au poème lui-même ?
  • Que dire de cette “écorce tendre de la nuit” ? Veillez à la polysémie de l’adjectif tendre (qui renvoie aussi bien à la tendreté du bois… qu’à la tendresse).
  • Vous pouvez, avec plus de recul et en comptant les syllabes, comparer les différentes propositions que juxtapose l’énumération : il s’en dégage une impression de régularité (alors qu’elles ne sont pas équivalentes en nombre de syllabes, mais cela, grâce à des séquences de 4 syllabes nettement sensibles), et de relief (certaines étant plus longues).
  • “Brouillard”, “circulation ouatée d’animaux et d’insectes”, “graine de luzerne”… : qu’ont en commun les éléments qu’énumère le poète (plusieurs réponses sans doute sont possibles) ?

Au milieu de ces éléments de la nature, apparaissent ensuite et progressivement des figures humaines (un visage, un buste, un compagnon accroupi).

  • Même travail d’analyse et d’interprétation que précédemment, à faire sur cet extrait : “c’est cette graine de luzerne sur la fossette d’un visage caressé”. L’effet d’écho sonore est sensible au début ; songez aussi au son du E dit ouvert (le même son que l’on entend dans “cette”, “graine”, luzerne”, “fossette”).
  • On peut s’attarder sur le motif de la caresse. Quelle image, employée plus haut, ce motif prolonge-t-il ? Que dire de cet effet d’écho, par rapport à l’interprétation générale que vous entendez donner du poème ?
  • On peut s’arrêter sur ce visage dont on ne saura rien d’autre : la saisie demeure fragmentaire ; le poème, une esquisse. Mais la mémoire du poète sans doute travaille. Chacun pourra, à son tour, fixer les traits de quelqu’un grâce à cet indéfini : “un visage caressé”. C’est là notamment que le texte acquiert une portée universelle, au-delà de l’espace et du temps du maquis.
  • Que lire dans l’image de “l’incendie de la lune”, aussitôt récusé (en effet, il “ne sera jamais un incendie”) ? Y voyez-vous, comme c’est souvent le cas plus haut, une image au ras de la prise de vue, un instantané de la nature, capté par l’œil du poète (une lune rousse, par exemple) ? Une formule qui apaise les inquiétudes (après tout, la lune ne prendra pas feu, quoi qu’il arrive sur Terre) ? Le rejet d’une image typique du romantisme, celle de la lune, réceptacle des émotions et de la mélancolie des hommes ?
  • Le “visage” n’est pas le seul terme à être précédé d’un indéfini. C’est le cas aussi dans l’expression : “un lendemain minuscule…”. Quel lien peut-on faire entre ces déterminants indéfinis et les “intentions (…) inconnues” du lendemain ? Le contexte d’écriture du texte peut-il permettre d’interpréter le choix de ces déterminants ?
  • Pourquoi, selon vous, ce lendemain est-il “minuscule” ? Référez-vous à l’expérience des résistants, peut-être, pour y réfléchir.
  • Sur l’image du buste aux couleurs vives - “c’est un buste aux couleurs vives qui s’est plié en souriant”, de nombreuses hypothèses ont été émises en cours, que je vous laisse reprendre. Comme souvent chez Char, et dans ce poème notamment, dominent les métaphores in absentia. Il manque donc, dans la comparaison qu’opère la métaphore, l’élément comparé. Ce peut être parce que, pour le poète, il relève de l’évidence (un tableau qu’il a sous les yeux ?), ou bien parce que les choses sont nommées telles qu’elles sont perçues, ou telles qu’elles apparaissent au poète, avec le pouvoir qu’il leur confère au moment de leur surgissement ; ou bien encore, parce que le sens doit demeurer ouvert : ce buste, c’est probablement l’image de la femme penchée, avec empathie, croit Char, sur le corps malingre d’un homme (que nous savons être son mari, Job : je vous renvoie à l’histoire de ce tableau de Georges de la Tour), mais aussi bien, l’image peut référer à un autre être (certains parmi vous ont même évoqué la mort d’un frère d’armes, tombé en se sacrifiant).
  • Quoi qu’il en soit, je vous invite à être aussi attentifs au rythme (3 / 4 / 4 / 4 syllabes) qu’au son (voir les i, qui contribuent à donner à cette proposition son équilibre sonore) et à l’image elle-même.

Le tableau de Georges de La Tour : Job et sa femme

Pour en savoir plus sur cette œuvre.

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  • Apparaît une image plus nette, et probablement plus ancrée dans le réel aussi, d’un homme : le “compagnon”. Pensez à toujours avoir en tête l’intégralité du texte, et les motifs récurrents, les effets de réseau.
  • Je vous invite à observer le jeu entre les sons, qui passent d’un k à un s, ce qui pourrait bien mimer ce qu’éprouve le maquisard. Pour une interprétation convaincante, il faut donner un sens à cette image de “compagnon accroupi” et inquiet. Pas plus que dans une autre, un mot n’est choisi au hasard dans cette image.
  • Comment interprétez-vous, en lien avec l’image, les points de suspension ?

Enfin, dans une ultime phrase, comme si cette nature harmonieuse et réunie lui en donnait la force, le poète défie “le diable” et les menaces qui pèsent sur lui et sur ses hommes.

  • Commentez cette dernière phrase en partant du plus évident, et en allant vers le plus subtil :
  • par exemple, commencez par l’exclamation, programmée par l’attaque avec le “Qu’importe” initial. Quel sens donner à cette exclamation ? À cette insurrection de l’être ?
  • Pensez à commenter le choix du “nous”.
  • Nous sommes à la toute fin du poème : n’y a-t-il pas là effet de bouclage avec le tout début ?
  • L’image du diable est très évocatrice. Comment l’interprétez-vous ? Je rappelle ici un point d’étymologie vu en cours : le diable est celui qui divise (il était question d’une ceinture peu de mots auparavant, et le poème, on l’a vu, réunit des fragments de la nature dans sa beauté protectrice, dans sa beauté qui est simultanément protection).
  • Mais on peut réfléchir aussi à la fixité de l’incertain “rendez-vous”, celui de la mort probable : cette vision inéluctable, celle d’une vie soudain à l’arrêt, en quoi le poème en a-t-il tout du long pris le contrepied ?

Réfléchir à des éléments de conclusion

Ce texte en prose se fait poème.

Pour le dire en quelques mots, dans ce poème en prose, la contemplation attentive proche de la célébration (portée toutefois par un lyrisme renouvelé où s’effacent le “je” et la grandiloquence romantique) font du paysage un moyen de rendre à l’homme force, courage et dignité, grâce à une communion avec le monde, à rebours des effets paralysants de la terreur. Il relève comme l’ensemble des Feuillets d’Hypnos et une large part de l’œuvre de Char d’une esthétique du fragment ; or le fond correspond ici parfaitement à la forme, car le poète entreprend dans ce poème - fragment de saisir des fragments de la beauté du monde pour retrouver une harmonie menacée par les “ténèbres hitlériennes”.

Poème en prose, il est placé d’emblée sous le signe de l’alliance des contraires (par la tension entre prose et poésie). Au-delà de la forme en prose, il s’attache aussi aux réalités prosaïques, c’est-à-dire banales du temps du maquis (un compagnon accroupi, la nature environnante). Le vers est absent, mais le travail sur les images, la musicalité et l’effort de structuration du texte demeurent. Et sur le fond, c’est bien à des réalités très simples de la nature que le poète accorde toute son attention.


Le poème saisit des fragments de beauté.

L’évocation de la nature procède par images (mais qui sont au moins autant des prises de vue que des métaphores), par des changements d’échelle qui permettent au poète de saisir l’infiniment petit (les insectes) et l’infiniment grand et lointain (l’incendie de la lune). Cette attention au monde se dit sur un mode harmonieux grâce à la musicalité du texte (rythme, sonorités).

La nature est perçue dans ce qu’elle a de plus vivant, de plus “tendre”, mais aussi de plus infime (et apparemment insaisissable).

À cette nature rassérénante s’ajoute probablement l’image réconfortante et presque fortifiante, pourrait-on dire, que Char voit dans le tableau de Georges de la Tour, devenu une allégorie de sa condition de résistant (au point que la référence au tableau est faite sur un mode allusif : il n’est identifiable que par hypothèse et croisement avec le feuillet 178).


La contre-terreur est constituée par ce nouveau rapport au monde.

En ces temps de guerre et d’occupation, Char entend redonner à l’homme son fondement en rassemblant ce que la terreur menace de disperser. La “pesanteur bien répartie”, c’est aussi l’harmonie rythmique des mots qui contre la pesanteur mal répartie qu’est la “terreur” (songez au “compagnon accroupi” comme sous le fardeau de la peur). Ce que le “diable” menace de division (cf. l’étymologie de diable), de dispersion, la poésie le réunit.

Ce poème n’est pas seulement le texte d’un résistant ; il refait de l’homme un résistant par définition, capable de faire face à la terreur. En effet, il montre un chemin : s’attacher à la beauté, non par désir de contemplation seulement, mais parce que la beauté du monde est salvatrice ; elle justifie la lutte et aide l’homme dans son combat.

Souvenons-nous du feuillet qui clôt le recueil :

“Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté.”


Prolongement possibles :

Vers la poésie d’Hélène Dorion

Si vous voulez donner à la fin de votre travail une touche finale, en forme d’ouverture, songez aux parallèles possibles avec Mes forêts d’Hélène Dorion. Quels liens uniraient intelligemment ce poème et cette œuvre ?

Sur le rôle de la nature en poésie

Relisez les poèmes de Lamartine, Rimbaud, Anna de Noailles : la nature chez Char joue-t-elle le même rôle qu’au sein de ces textes ? Je pense en particulier à sa fonction chez Lamartine (dont on sent l’écho, quelque peu, chez Rimbaud, avant de découvrir la chute du célèbre “Dormeur du val”).


Question-réponse, sur l’interprétation de la « contre-terreur »

Question d’élève

Nous ne comprenons pas comment nous devons interpréter la “contre-terreur” alors que les phrases censées le définir ensuite viennent contredire ce combat de la peur et, à l’inverse, dépeignent la guerre.


Réponse

Tout se passe comme si la guerre se trouvait contrée, et avec elle, la terreur qu’elle suscite, par les éléments de la nature environnante, ou mieux, par la façon singulière qu’a le poète de les regarder et de les mettre en scène. La “contre-terreur”, ce serait l’effet de cette capacité à voir certes “mille traits” qui inévitablement pourraient rappeler la guerre, mais “mille traits” liés cette fois aux processions d’insectes.

De même, l’image des “fusées” a toute chance de rappeler au résistant apeuré la guerre dans laquelle il est pris, et la mort qui le menace ; mais elle est englobée dans un élément cette fois naturel : “un essaim de fusées engourdies”. On peut bien imaginer à quel point, dans le maquis, le moindre bruit devait attirer l’attention pour un groupe de résistants sans cesse aux aguets. Mais ici, le bruit est inoffensif et même musical : c’est le “fugace bruissement de feuilles comme un essaim de fusées engourdies”. La comparaison prend sens en ce qu’elle dit, presque explicitement, que si les feuilles peuvent très temporairement rappeler les bruits de la guerre, ils sont autres, ils ne les rappellent que de loin : et ce faisant, ils les conjurent, ils l’exorcisent, pour prendre un mot qui résonne avec la fin du texte.

La nature ainsi contemplée et dont les fragments sont réunis fait cela : elle engourdit la peur de la guerre ; la “pesanteur” n’a pas disparu, mais la voilà, comme sous l’effet du rythme du poème, “bien répartie”.

Comme si contempler, se concentrer sur ces éléments de la nature, et les réunir dans un texte permettait de repousser la peur et la guerre, lesquelles ne disparaissent pas : elles sont prises dans une “ouate”, comme désamorcées provisoirement.


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