Voici un nouveau guide pour votre travail de relecture, cette fois consacré à l’œuvre d’Hélène Dorion, et en l’occurrence au premier poème que nous avons étudié dans Mes forêts, dont le premier vers est : “Il fait un temps de bourrasques et de cicatrices”.

Je le rappelle ici : contrairement à ce que vous pourrez trouver sur d'autre sites, lesquels fournissent parfois des explications prétendument clé en main, ce guide est étroitement lié à nos cours, d'une part, et conçu pour vous faire réfléchir, d'autre part. Il vous invite à questionner de nouveau le texte travaillé ensemble, car c'est ainsi que vous mettez toutes les chances de votre côté pour réussir l'épreuve.


Situer et caractériser le texte

  • Je vous invite avant toute chose, comme pour chaque préparation de texte en vue de l’oral, à reprendre vos notes, à commencer par celles qui concernent la section intitulée “L’onde du chaos” : sa place dans l’œuvre, le volume qu’elle représente, l’épigraphe par laquelle elle s’ouvre (“Aux aguets, nous faisons écho / Aux rumeurs de l’abîme” - Kathleen Raine)…
  • C’est dans cette section que le regard d’Hélène Dorion sur notre monde dans tous ses états est le plus acéré, le plus vif, le plus inquiet aussi, sans doute.
  • Pensez cependant à garder de la nuance. Si “L’onde du chaos” réunit des poèmes de la catastrophe, du temps décousu, de la terre indéchiffrable et ravagée, nous avons aussi observé deux phénomènes au moins : la réversibilité de certains signes d’une part (à l’échelle de tout le livre, mais de cette section notamment), et l’évolution de cette vision du monde, au fil de la section, avec une ouverture presque porteuse d’espoir à la toute fin.
  • Quoi qu’il en soit, notre poème est aussi à situer par rapport à sa place dans “L’onde du chaos” - il fait partie des premiers ; il contribue donc à installer la tonalité de cette section -, et en résonance avec les autres poèmes de la section : il s’ouvre par une anaphore, récurrente à l’échelle de cette partie du livre, qui confère à cette dernière sa signature propre.
  • Pensez à dire à un moment ou à un autre, lorsque vous le présenterez dans ce temps liminaire, que ce poème, à l’instar de l’ensemble du livre, est composé en vers libres (ni rimes, ni mètres identifiables - par mètres, on entend : alexandrins, décasyllabes, octosyllabes, etc.). Revoyez la définition du vers libre si nécessaire.

Élaborer un projet de lecture

Là encore, relisez le texte, puis vos notes. Quelle formule résumerait pour vous l’essentiel du poème ? Essayez-en plusieurs : c’est un poème qui offre la vision d’un monde….

Je pense que vous gagnerez à conjuguer deux aspects que le texte articule : l’image d’un monde détruit, et la question de ce qui peut, par la parole, tenter (en vain ?) de le réparer.


Indiquer les mouvements qui composent le texte

Trois mouvements inégaux composent le texte. On pourrait même parler d’un poème en deux volets, construits autour d’un vers central.

  • Trois strophes, au début du poème, nous invitent à porter notre regard avec gravité sur un monde détruit et désolé.
  • Le vers central, tourné vers le XXe siècle, est peut-être l’acmé de cette déploration.
  • Trois strophes clôturent le poème en introduisant plus nettement la poète puis les hommes dans son texte.

Expliquer le texte de façon progressive et détaillée

Les trois premières strophes offrent une vision de notre monde : celle d’une terre “ravagée”.

  • Comment qualifieriez-vous la formule d’ouverture ? Pourquoi ? Je vous invite notamment à étayer votre interprétation en commentant le choix du pronom sujet. N’hésitez pas à vous référer, sans y perdre trop de temps, aux autres tournures impersonnelles qui scandent la section.

Remarque complémentaire : entendons-nous bien, l'enjeu n'est pas seulement de faire état d'un repérage, ni même de se satisfaire de souligner la cohésion du livre en disant : cette anaphore est présente dans d'autres textes. Cela, c'est une observation utile, nécessaire, mais insuffisante. Ce qui compte, c'est de s'interroger sur la récurrence de cette formule : pourquoi Hélène Dorion a-t-elle éprouvé le besoin de la répéter et de la décliner au long de la section "L'onde du chaos" ?

  • Comment interprétez-vous le terme “temps”, au cœur de l’image ?
  • Que pensez-vous de l’association faite dans la métaphore (“bourrasques” et “cicatrices”) ?
  • N’hésitez pas à vous arrêter sur la première partie de l’image (“un temps de bourrasques”). Elle me semble particulièrement représentative de l’écriture d’Hélène Dorion dans Mes forêts, porteuse de métaphores vives, au sens où, littéralement, notre époque voit en effet se multiplier les phénomènes climatiques extrêmes. Autrement dit, le mot “bourrasques” peut être pris au sens propre, comme dans son sens métaphorique.
  • Comment le second vers enrichit-il cette évocation ? Je vous invite à le mettre en regard avec le premier, mais aussi à interpréter le blanc qui suit le mot “chute”.
  • À quoi “séisme” et “chute” renvoient-ils ?

  • La seconde strophe donne une image plus détaillée de cette destruction.
  • Comment le premier vers de cette strophe prolonge-t-il la “chute” ?
  • N’hésitez pas à souligner le caractère encore quelque peu abstrait de l’image véhiculée par le premier vers.
  • Que pensez-vous de cette image ? Quel(s) effet(s) de sens le verbe tomber suscite-t-il de votre point de vue, en tant qu’il a le nom “promesses” pour sujet ? Songez aussi, pourquoi pas, à une expression imagée elle aussi, mais lexicalisée, c’est-à-dire entrée dans la langue courante, et qui ne fait plus image : on dit souvent de quelqu’un qui nous vend des illusions qu’il fait des promesses en l’air (cela a été rappelé par l’un d’entre vous en cours).
  • Une autre idée, partagée en classe : les promesses ne tomberaient-elles pas parce qu’il n’y a plus d’homme pour les entendre ? Il faudrait donc voir là une hyperbole à l’accent prophétique : l’image d’un monde sans humanité.
  • Chaque mot compte, y compris le déterminant défini, “les”, qui peut surprendre : de quelles promesses s’agit-il ? En tout état de cause, il confère une portée généralisante à l’expression.
  • La comparaison avec les vagues est retardée, du fait du passage au vers suivant. Mais elle enrichit encore le sens de cette chute des promesses : qu’en dites-vous ?
  • Et le sens de se déployer plus largement encore avec l’étonnant complément de lieu : “sur aucune rive”, que l’œil ne pouvait prévoir, en raison de l’absence de l’adverbe “ne” qui aurait dû le précéder. Comment interprétez-vous ce choix, et ce complément de lieu qui n’indique aucun lieu ?
  • On comprend mieux, à lire les trois premiers vers de cette strophe, un des effets du vers libre, forme qu’a choisie Hélène Dorion. Ici, il faut trois vers pour que peu à peu le sens gagne en profondeur. Si tout avait figuré en un seul vers, chacun des groupes (“les promesses tombent / comme des vagues / sur aucune rive”) n’aurait, en somme, pas eu le temps nécessaire à sa décantation pour le lecteur.

Conseil n°1 : S'agissant de l'absence du "ne" dans le système négatif, ici, n'entrez pas dans une réflexion grammaticale plus poussée que cela : l'explication littéraire et la réponse à la question grammaticale sont des temps différents au sein de cette épreuve orale.

Conseil n°2 :Toutefois, vous êtes autorisés, pendant l'explication, si cela vous paraît plus aisé ainsi, à répondre à la question grammaticale lorsque vous parvenez au passage sur lequel elle porte. Il vous faut simplement en formuler la demande : "Si vous le permettez, à la façon d'une parenthèse, je vais répondre ici à la question grammaticale que vous m'avez posée". Par expérience, l'effet est tantôt réussi, tantôt raté, suivant le niveau des candidats : en cas de doute sur l'approche à privilégier, séparez donc les deux temps.

  • Je vous propose un pas de côté, que vous pourrez faire ou non au cours de votre explication. Tout dépend du temps dont vous disposez et du projet de lecture qui sous-tend votre propos. Vous pourriez utilement mettre en évidence l’écho entre le vers “sur aucune rive” avec les vers suivants, dans le troisième poème qui commence par “Mes forêts…”. Là, des rivages existent où peuvent s’inscrire les choses, rivages articulés avec la vie de la poète.

Mes forêts sont des rivages accordés à mes pas la demeure où respire ma vie

  • La poète passe ensuite des “promesses” aux “oiseaux” : que dire de cette progression ?
  • Peut-être peut-on faire un parallèle entre les promesses, qui n’ont “aucune rive” où échouer, et les oiseaux, qui “demandent refuge” ?
  • Que produit le verbe “demander” ? Que “demandent” les oiseaux pour vous ? À qui, ou à quoi cette demande est-elle adressée ?
  • Vous pourriez réfléchir à la construction des vers, aux retours à la ligne : “à la terre ravagée” complète manifestement le verbe “demander”. Mais en même temps, on peut lire les deux vers ainsi : “à la terre ravagée (sous-entendu, sont rendus) / nos jardins éteints / entre l’odeur de rose et de lavande”. La lecture à voix haute donnera utilement une indication de votre choix. Le plus évident reste le premier enchaînement (“les oiseaux demandent refuge / à la terre ravagée”). Mais l’absence de ponctuation, on le vérifie ici, ouvre un potentiel de significations et offre un champ d’interprétation étendu au lecteur.
  • Comment interprétez-vous la référence aux jardins, pris “entre l’odeur de rose et de lavande” ? Qu’expriment à vos yeux ces quelques vers ?

  • Combien de vers dans la strophe suivante ? Cela peut-il être interprété en étant mis en relation avec ce qui est dit, et ce qui était dit dans la strophe précédente ?
  • Vous aurez noté la reprise de la formule initiale : par-delà son tout début - il fait un temps… -, pouvez-vous mettre en évidence des effets d’écho avec le premier vers ?
  • L’image change. Qu’en dire ? Quel intérêt de ne pas écrire “verre brisé”, plus convenu que “verre éclaté” ? Que véhicule l’adjectif “éclaté” ?
  • Le “verre éclaté”, sans doute, appelle les “écrans morts” du vers suivant. Que dire de cette expression ? Que penser des adjectifs choisis pour qualifier les “jardins” et les “écrans” (je vous repose cette question à la suite d’une excellente remarque faite en cours ; la poésie d’Hélène Dorion cherche à surprendre par des associations de mots inattendues : c’est sans doute en grande partie ainsi qu’elle tente de modifier notre regard sur le monde) ?
  • Qu’entendez-vous si vous dites à voix haute le vers : “d’écrans morts de nord perdu” ?
  • Comment interprétez-vous l’espace ?
  • Que dire de l’expression “nord perdu” ? En l’interprétant, vous pouvez peut-être mettre de côté, pour une ouverture en fin de conclusion, un rapprochement avec le début du dernier poème de l’œuvre, qu’en dites-vous ?
  • Même questionnement au vers suivant, entre les deux adverbes interrogatifs.
  • Pourquoi ces derniers sont-ils employés ici sans que rien ne vienne les prolonger, et préciser la question ?

Au cœur du texte, un vers rétrospectif nous invite à voir, et même à juger le siècle écoulé.

  • À distinguer donc, ce vers seul semble, avec la profondeur de champ que lui donne l’histoire, quitter un instant le “temps” présent “de bourrasques et de cicatrices”. Comment l’interprétez-vous ? Simple jugement porté sur le XXe siècle ? Esquisse d’explication au “pourquoi” et au “comment” du vers précédent ?
  • Pensez, même si cela vous paraît simple, à commenter l’adjectif qui ouvre le vers (“tout”), mais aussi l’absence de verbe conjugué. Essayez de dire et de redire ce vers, en trouvant une intonation qui vous semble juste. Qu’exprimez-vous ainsi ?

Les trois dernières strophes achèvent le déploiement de cette image du monde, mais en faisant place, cette fois, à la poète et à l’humanité.

Bref point de méthode, pour l'oral : dans ces guides de relecture, je rédige intégralement les phrases de transition qui correspondent aux mouvements successifs du texte, ceci à la fois pour que le propos soit clair, et pour que vous fassiez de même, ainsi que je vous le conseille souvent, dans le cadre de votre préparation. On formule mieux des transitions que l'on a écrites - même si le reste ne doit pas être rédigé. Cela donne des balises claires pour votre auditeur et examinateur. Deuxièmement, vous remarquerez que j'évite d'alourdir le propos en parlant de façon répétée du "premier mouvement", du "deuxième mouvement", etc. Mais je fais des détours qui disent la même chose et fournissent ainsi un repère clair de ce qui va être expliqué ensuite.

  • La première strophe s’ouvrait par un regard sur notre époque. Qu’est-ce qui est au cœur du premier vers cette fois ?
  • Comment interpréter le “chant” et surtout son action, “soule(ver) la poussière” ? En quoi cette image peut-elle être riche de sens ?
  • Quel sens donnez-vous à l’évocation de “spectacles muets”, notamment lorsque vous les mettez en regard avec le “chant” du vers précédent ? Que sont ces “spectacles” ? Qu’est-ce qui les rend spectaculaires ?
  • La métaphore du “trou béant” peut assez facilement être interprétée ; de même celle de la “maison noire des mots” (vous pourrez d’ailleurs réfléchir à la façon dont cette maison pourrait être moins noire, mais aussi plus simplement au choix du nom “maison”, à mettre en relation avec la deuxième strophe). Mais le plus intéressant sera peut-être d’y revenir lorsque vous analyserez la strophe suivante.

  • Au début de l’avant-dernière strophe, quelle variation la poète opère-t-elle par rapport à la formule inaugurale ?
  • Comment interpréter l’incomplétude du premier vers (“jamais assez”) ? Les espaces (plusieurs interprétations me paraissent possibles) ? Les répétitions ? Le raccourcissement des vers ? Quels liens faire avec la strophe précédente ? Qu’est-ce qui se défait ici ?
  • En quoi ces vers font-ils écho à ce qui précède : “on ne pourra pas toujours / tout refaire” ?
  • Comment interpréter le fait d’avoir distribué les constituants de cette phrase en deux vers ? En d’autres termes, qu’apporte la suspension avant “tout refaire” ?
  • Qui le “on” désigne-t-il ? Que signifie pour vous le glissement de la première personne, avec “mon chant”, à cette troisième personne ?

  • De nouveau, le “temps” est associé à des noms qui caractérisent notre monde et notre époque. Que dire de ces termes ? Qu’entendez-vous en les proférant, qui vient souligner leur sens ? Je vous renvoie notamment à l’éclairage proposé en cours sur le mot “bile”.
  • l’éboulis renvoie bien sûr de nouveau à la destruction : amoncellement de débris. Toujours la fragmentation. Le mot semble généré phoniquement par « bile ». Proximité des sons.
  • Hélène Dorion n’écrit pas ”mes”, mais bien “les forêts”, ici. Comment interprétez-vous ce choix ?
  • Comment interprétez-vous l’image suivante : “sous nos pas” ?
  • Et le tremblement des forêts ?
  • Songez qu’on peut lire aussi le complément avec le dernier vers : “sous nos pas / la nuit approche” : et l’association suggérerait alors autre chose.
  • le verbe approcher a un aspect qu’en grammaire on appelle “imperfectif” : il renvoie à quelque chose de commencé (le mouvement) et d’inachevé. Le dernier vers laisse donc en suspens la venue d’un événement - que par métaphore la poète appelle “la nuit”.

Conclure

C’est le sixième texte dont vous préparez l’explication, et il est assez accessible : aussi puis-je me permettre de vous renvoyer ici à votre travail de préparation. Quel était votre projet, votre angle de lecture ? Revenez-y pour conclure, mais pas en vous répétant : si par exemple, après votre lecture, vous avez dit : ”Je vais tenter d’expliquer ce qui donne sa force à ce poème sur un monde abîmé”, en conclusion, vous pourrez résumer ce sur quoi reposait cette “force”.

Méthodologiquement, on a donc toujours intérêt à penser formulation du projet de lecture et conclusion ensemble, comme à l'écrit en commentaire notamment.

À votre place, j’accorderais une place particulière aux motifs de la “chute” et de “l’éboulis”, auxquels succède la “nuit”, pour reprendre des mots du texte. Tout se passe comme si chutaient le “temps”, les “promesses”, les “oiseaux” peut-être aussi, en quête d’un introuvable abri ; tout chute et disparaît, comme le sens de l’orientation (cf. le “nord perdu”) ; tout, sauf peut-être “la poussière” soulevée par le “chant” de la poète. Mais, signe que “la nuit approche”, la “maison (…) des mots” est “noire”, et les mots semblent eux aussi se morceler vers la fin du poème, pour former un “éboulis”. Comme si la destruction du monde menaçait le langage poétique qui s’efforce pourtant de la dire et de l’interrompre.


Prolonger

  • Pour une ouverture intéressante, je vous ai proposé maints échos internes à l’œuvre ci-dessus : je vous y renvoie, non seulement pour eux-mêmes, mais aussi d’un point de vue méthodologique : relisez votre livre, et vous trouverez sans aucun doute de nombreux rapprochements possibles.

@@Rappelez-vous : une ouverture ne consiste pas à poser une question nouvelle - surtout pas : quel est l’intérêt de poser en dernière phrase une question qui restera sans réponse ? Si vous tenez à une interrogation, qu’elle soit rhétorique. Si vous proposez un rapprochement avec un autre texte, une autre œuvre, justifiez-le en précisant quelles ressemblances et quelles différences intéressantes on peut relever avec profit. Enfin, pensez, pourquoi pas, à l’œuvre que vous allez présenter si elle fait écho en quoi que ce soit au poème et à Mes forêts.

ImprimerIMPRIMER