Voici un guide de relecture sur le très beau dernier poème du livre.


Situer le texte

  • C’est le dernier poème du recueil : je vous renvoie à vos notes sur ce point. Une nuance cependant : l’ultime poème de la section « Avant la nuit » donne lui aussi l’impression d’être le dernier texte, en sa fin.
  • C’est aussi le dernier des cinq poèmes qui scandent la lecture du livre et qui commencent par cette anaphore à l’échelle du livre s’entend : “Mes forêts sont…”. Il faut donc relire les précédents pour distinguer les reprises, les variations, les échos, et en somme, la progression possible de l’œuvre. En effet, chaque poème qui commence par les mots : « Mes forêts sont… » étend la définition de ce que sont ces « forêts », reprend, retisse certains motifs entrevus dans les précédents, en ajoute de nouveaux.
  • C’est pour moi l’occasion de vous rappeler que le livre, en sa structure même, apparaît comme fait de jointures, de régularité, mais aussi de disjonctions, de séparations - pour ne pas dire de « déchirures » (je vous renvoie à ce motif important de l’œuvre). Autrement dit, la forme du livre épouse sensiblement son propos et cette tension entre failles et tentative d’union, peut-être à l’image de ce qu’Hélène Dorion fait avec sa poésie : réunir ce que les maux de notre monde sépare, tout en laissant visibles des failles. Je vous laisse réfléchir à l’idée que vous-même vous faites de l’œuvre.

Esquisser puis stabiliser un projet de lecture

Lorsque vous vous emparez de ce texte à nouveau, peut-être avec ce guide de relecture, esquissez un projet de lecture après avoir relu le poème à voix haute, et après avoir réfléchi à ce qui se dégageait pour vous d'essentiel (il arrive qu'une relecture à voix haute, sincère, vraiment incarnée, nous fasse vivre une traversée nouvelle : l'explication est alors sa mise en mots). Ainsi tiendrez-vous une esquisse de votre futur projet de lecture. Puis, entrez dans le détail du texte. Il se peut que votre analyse infléchisse rétrospectivement votre projet initial : au terme de la préparation de votre explication, reformulez-le alors jusqu'à être satisfait de ce en quoi il sous-tend tout le développement.

Nous avons dit de nombreuses choses en cours, auxquelles je vous renvoie, notamment en nous fondant sur la valeur potentiellement conclusive de cet ultime poème. Je me permets d’ajouter un élément issu de notre travail : ce texte est de tous peut-être le plus proche d’un art poétique, c’est-à-dire un poème qui réfère à la poésie, qui dit ce qu’elle vise, et comment elle s’élabore, ou comment il faudrait qu’elle s’élabore (en tout cas sous la plume d’Hélène Dorion). Attention toutefois à ne pas le réduire à cette dimension.

Ajouts du lundi 4 mars : Quelques esquisses de projets de lecture pour vous aider dans votre réflexion :

  • Ce poème, par les échos et les variations qu’il propose, reprend, prolonge et conclut tout ce que le livre a développé (ce projet de lecture, vous l’aurez saisi, insiste sur la dimension conclusive du texte).
  • Ce poème donne une ultime image de la relation complexe qu’entretient la poétesse avec le monde et la nature (l’adjectif « complexe » renvoie bien sûr aux paradoxes et aux ambivalences de cette relation et de la nature elle-même).
  • Ce poème achève le livre en mettant en scène l’écriture poétique elle-même : c’est ce que je vais tenter d’expliquer (ce projet de lecture ou ses variantes insisteraient donc sur la dimension autotélique du texte).
  • Ce dernier poème met en scène à la fois le regard de la poétesse sur le monde, et la difficulté de son entreprise poétique.
  • Ce poème conclusif révèle un des enjeux majeurs de l’œuvre : mettre en scène un monde, intérieur et extérieur, fait de repères et de pertes, d’union et de déchirures.

Examiner, puis indiquer la composition du texte

Deux mouvements paraissent composer le texte :

  • le premier, jusqu’à la troisième strophe incluse, part du motif des forêts pour aller vers la référence à l’écriture, et dessine un raccourcissement progressif des strophes, sur le mode d’une extinction ;
  • Le second, à partir de la quatrième strophe, part de cette même référence à l’écriture, mais pour éclairer ce qu’opère cette poésie des forêts ; et cette fois, la poétesse écrit d’une strophe à l’autre sur le mode de l’expansion.

Expliquer le texte de façon détaillée

Le texte s’ouvre par l’évocation des forêts de l’autrice, mais il évoque l’écriture de façon progressive, indirecte et imagée (1er mouvement).

Ci-dessous, je laisse un filet à chaque fois que je m'arrête sur une nouvelle strophe.

(1re strophe)

  • Commencez par analyser et interpréter les motifs rapprochés de la tige et de l’aiguille dans les deux premiers vers. Pensez pour cela aux domaines auxquels l’aiguille appartient.
  • En quoi ces vers offrent-ils une variation des précédents “Mes forêts”, et notamment le tout premier (plusieurs différences sont réellement intéressantes à observer et interpréter, au niveau des images et en particulier des verbes) ?
  • Quel écho avec “Le bruissement du temps” ?
  • En somme, que disent l’image des “longues tiges d’histoire”, et celle des “aiguilles qui tournent”, à propos du temps et de l’espace ?
  • Quelle impression se dégage, pour vous, de l’achèvement du vers 2 sur le verbe “tourner” ?
  • Pour lire ce qui suit, je vous renvoie à l’épigraphe fondée sur des vers de Silvia Baron Supervielle, avant “Une chute de galets”, ou encore au premier poème de “L’onde du chaos” : quelle image du temps était donnée là, que notre poème modifie ?
  • Dans le même ordre d’idées, que peut suggérer l’absence provisoire de complément après le verbe “aller”, mis en relief en fin de vers ?

À l'oral, vous aurez nécessairement à faire quelques détours par des poèmes auquel notre texte, conclusif, fait écho par ses reprises et ses variations. Sélectionnez et apprenez bien les quelques extraits, courts, qui peuvent éclairer votre propos.

  • Que pensez-vous de l’évocation des points cardinaux ? De leur ordre d’apparition, des blancs ?

Que les espaces au sein des vers, les "blancs", ne vous paraissent pas des obstacles, ni ici, ni dans les autres textes. Leur effet, assurément, au niveau de la diction à voix haute, est celui de la pause, de la suspension, de la respiration, de fait. C'est d'abord cela que vous pouvez donner à entendre, tant en lisant qu'en expliquant. Pour aller plus loin, pour donner encore plus de richesse à votre interprétation, réfléchissez aux liens possibles entre ces effets de suspension et ce qui est évoqué au sens littéral : ici, par exemple, le fait que les saisons "tournent", et "vont".

  • Je vous invite, pour être efficaces, à réunir les différents éléments de définition des forêts qui suivent : l’image des “cages de solitude”, des “lames de bois” (pensez à la polysémie du mot “lames”), que l’adjectif “clairsemées”, qui les qualifie, rapproche des vers suivants (“nuit rare”, “maisons sans famille”, “corps sans amour”). Sur quoi la poétesse insiste-t-elle dans ces vers ?

J'ai eu maintes fois l'occasion de le dire, ou de l'écrire dans vos copies : habitués que vous êtes à analyser des textes, il vous arrive parfois, pensant bien faire, d'isoler des mots pour les commenter : on ne saurait vous tenir grief de ce geste, mais il a souvent pour effet de vous amener à interpréter les mots indépendamment les uns des autres, alors qu'ils prennent sens grâce aux relations qu'ils entretiennent avec les mots alentour. C'est nettement le cas ici.

  • Une clé pour interpréter ces vers réside dans les tout derniers vers de la strophe, lesquels évoquent ce que deviennent, “au matin”, les forêts de l’autrice : “des ratures et des repentirs”, c’est-à-dire des mots raturés et des mots conservés, mais dont la conservation sur la page inspire le regret (le terme repentir, j’ai eu l’occasion de le dire, renvoie à la création littéraire). Ces forêts seraient donc autant de poèmes qui évoqueraient, si on revient un peu en arrière, des “corps sans amour”, et autres “maisons sans famille”. Quelle image cela donne-t-il de la poésie d’Hélène Dorion ? S’agit-il seulement d’une poésie centrée sur les maux contemporains de la nature ?

Ne craignez pas, de temps en temps, de lire le texte à rebours, du moment que votre propos se fait clair et ordonné : l'explication mime ainsi une découverte (alors qu'on le sait, vous ne découvrez pas le texte) : vous en dévoilez un sens progressivement, au fur et à mesure que les vers vous le livrent.


(2e strophe)

  • Vous aurez observé, par comparaison avec la première, la brièveté de cette seconde strophe. Pour tenter de comprendre cet amenuisement du texte, on gagne à se référer au sens littéral : qu’évoque l’image de la “boule dans la gorge” ? Que préparaient, plus haut, “la nuit rare”, les “ratures”, entre autres ?
  • Identiquement, voyez-vous un verbe dans ce premier vers ?
  • Quelle émotion se dégage des trois vers qui suivent, de l’image des oiseaux s’envolant de nouveau ? Pensez à l’évocation de leur vol dans d’autres textes pour proposer des comparaisons intéressantes.
  • Si l’on garde à l’esprit que les forêts, dans ce texte précisément, métaphorisent en particulier les poèmes d’Hélène Dorion, que signifie pour vous le fait qu’elles soient des “doigts qui pointent / des ailleurs sans retour” ?
  • Je vous invite à retrouver, dans le tout premier poème, l’image des “mâts immobiles” : est-ce encore cela dont il s’agit ?

(3e strophe)

  • Vous aurez observé, de nouveau, la brièveté de cette strophe, qui constitue ce qu’on appelle un distique (une strophe de deux vers). A minima, songez à livrer un commentaire sur la progression de ce texte depuis le début, en liant cet amenuisement textuel aux principaux motifs entrevus (par exemple : “ratures”, “repentirs”, “boule dans la gorge”, “épines”…).
  • Quel lien le motif des “épines” entretient-il avec les aiguilles du vers 2 ? Comment interprétez-vous ce motif ? De même, le complément “dans tous les sens” trouve-t-il plus haut dans le poème un écho ?
  • Qu’évoque le deuxième vers de cette courte strophe ?
  • Après cette strophe, le poème semble s’étendre à nouveau : à quoi le voit-on tout simplement ?

Le texte connaît progressivement une inflexion à partir de la quatrième strophe : l’écriture poétique voit son rôle se préciser (2nd mouvement).

(4e strophe)

  • De nouveau, je ne peux que vous inviter à mettre en évidence les motifs qui, par des traits communs que vous aurez soin de nommer, donnent leur cohérence au texte, tout en dessinant une trajectoire à interpréter : “aiguilles”, “doigt”, “épines”, et ici, “lignes au crayon” (s4).
  • Comment l’écriture est-elle de nouveau évoquée ici ? À quoi se trouve-t-elle liée ?
  • Et que se trouve-t-elle désormais capable de faire ? Quel rapport entre l’écriture poétique et le monde ?
  • Que pensez-vous de l’image du “papier de temps” ?

Je le répète sans doute : chez Hélène Dorion, les métaphores ne sont pas un ornement, une façon qu'offrirait la poésie de dire le monde en plus beau : si jamais cette conception de la poésie persistait, je vous invite à la confronter à votre lecture de l'œuvre. Sur un plan pratique, une métaphore lie deux réalités, l'une étant évoquée à travers sa comparaison avec l'autre. Tout se passe comme si Hélène Dorion exploitait cette propriété fondamentale de la métaphore qui réunit et englobe, pour nous inciter à voir, ou à faire des liens entre des réalités disjointes, ou que notre regard habituellement sépare.


(5e strophe)

  • Les forêts de l’autrice reçoivent de nouveau une définition : faut-il y voir le fait que le poème (voire le livre tout entier) avance vers la révélation de son sens, éclaircit son sens ? Que, l’écrivant, l’autrice, dont on sait qu’elle suit les mots, qu’elle se laisse devancer par eux, parvient peu à peu, grâce à eux, à livrer le sens de toute sa démarche, malgré les “ratures” et les “repentirs” évoqués plus haut ?
  • Je vous invite à confronter ce qu’elles sont, ces forêts, à savoir “un long passage / pour nos mots d’exil et de survie”, aux vers de la première strophe avec lesquels cette image du passage peut résonner. Quant à l’exil et à la survie, plus simple à interpréter, je vous propose de les mettre en relation avec tout ce que le livre évoque.
  • Faut-il selon vous considérer ce “passage”, qui devient “un peu de pluie sur la blessure”, puis “un rayon qui dure / dans sa douceur”, comme une variation des déchirures” précédemment évoquées ? Quelle évolution s’est donc dessinée sous nos yeux ?
  • La pluie peut-elle guérir la “blessure (qu’auraient causée… les “épines” ?) Et sinon, quel effet peut-elle avoir néanmoins ?
  • Pour interpréter ce rôle de la pluie, la façon dont la poétesse l’intègre ici, vous pouvez de nouveau vous reporter au tout premier poème, qui l’évoque.
  • Quel sens donner au “rayon qui dure / dans sa douceur” ? Je vous propose de le mettre en relation, comme s’il en était une ultime variation, avec le réseau formé par les “tiges”, les “aiguilles”, les “épines”, etc.
  • On peut gagner à s’attarder sur le déterminant défini devant “blessure” : comme si chacun savait de laquelle il s’agit. Est-ce le cas ? Sait-on d’évidence de quelle blessure il s’agit ? Sinon, que penser de ce choix ?
  • Pluie, rayon, passage, blessure… : ces contrastes ne sont pas les premiers que nous rencontrons. Hélène Dorion, jusqu’au dernier poème, cherche-t-elle à dépasser, à résoudre, ou à mettre en scène en les conservant les ambivalences du monde et de la vie humaine (et ici, de l’écriture) ?

(6e strophe)

  • La conjonction “et”, le recours à une dernière et courte strophe : cela renvoie à ce que nous avons pu lire, notamment dans la première section (mais pas seulement) : l’ultime strophe du poème joue un rôle particulier. Lequel ?
  • Quel contraste constitue le point final du poème et du livre ? Comment la distribution des mots dans les deux derniers vers le met-elle en valeur (pensez à la façon dont Hélène Dorion joue sur la fin du vers intermédiaire) ?
  • Songez peut-être au lien que l’on peut faire entre ces derniers vers et le titre.

Conclure

Parce qu’il est le dernier, ce poème vous offre bien des façons de conclure votre explication, à condition de ne pas omettre qu’il a porté, largement, sur la question de l’écriture elle-même (qu’est-elle, que fait-elle, à quoi sert-elle ?…), le poème renvoyant de diverses façons à l’œuvre et à la démarche poétique d’Hélène Dorion. Pour vous aider à construire une conclusion, je peux vous inviter à revenir évidemment à votre projet de lecture : qu’a montré votre développement par rapport à ce projet initial ? Mais vous pouvez aussi réfléchir à l’image que ce poème laisse de l’ensemble de l’œuvre - ce qui pourra également composer une ouverture intéressante.

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