Voici quelques pistes pour vous aider à relire le texte et vos notes, tout en enrichissant ces dernières, en vue de l’épreuve orale.


Rappel sur le titre et son évolution

Je vous renvoie à notre échange en cours sur le titre originel sous lequel Colette a publié les trois textes consacré aux membres de sa famille et à son enfance : Sido, ou les points cardinaux (titre qui date de 1929, et que Colette réduira ensuite à Sido).

Sens littéral (Sido, maîtresse de son jardin et de la nature alentour), sens métaphorique (les points cardinaux, des repères dans le monde et dans l’existence) : n’hésitez pas à revoir ce que vous aviez pensé de ce titre, la façon dont vous l’aviez interprété, vous. Ou réfléchissez-y à nouveaux frais pour composer, pourquoi pas, une amorce à partir de ce titre et de son évolution. Pensez à relire l’extrait dans lequel Colette précise que ce diminutif, “Sido”, n’était employé que par son père.


Situation et délimitations de l’extrait

  • de « Il y avait dans ce temps-là de grands hivers… » à « l’Ouest rué sur notre jardin… ».
  • Le texte est situé juste après l’évocation des jardins dans le village natal de l’écrivain, Saint-Sauveur-en-Puisaye, en Bourgogne. Or le jardin est à la fois le territoire et la fière création de sa mère, la preuve visible de son intelligence de la nature - celle-là même, on le sait, que Colette revendique en héritage.
  • Par-delà l’évocation des saisons, en son début, notre extrait renvoie donc à l’époque bénie de Saint-Sauveur, l’âge d’or de l’enfance de Colette en somme, et à la figure de sa mère. Il n’est pas interdit de voir dans cette évocation des jardins, de façon subliminale, le motif du jardin perdu de l’enfance, véritable Eden pour la jeune Sidonie-Gabrielle.

Embryons de projets de lecture

Vous pourriez centrer vos projets de lecture sur l’une des pistes suivantes : cette liste n’est évidemment nullement exhaustive.

  • La célébration des saisons disparues et de la figure maternelle.
  • L’expression nostalgique des joies de l’enfance.
  • L’évocation, voire l’éloge d’une enfance joyeuse, sensible, faite de contemplation de la nature et de jeu avec elle.
  • L’évocation de souvenirs où se mêlent imaginaire et sensations.
  • L’école du regard, l’art de voir le monde, appris par la jeune Sidonie-Gabrielle Colette. La précision des sensations.
  • Le monde impressionnant qui environne l’enfant - le regard de l’enfant agrandissant tout autour d’elle.
  • La figure de la mère, ici magnifiée, idéalisée, voire déifiée.
  • L’évocation de souvenirs d’enfance, liés à une initiation à la beauté du monde.
  • La mythification de l’enfance.

Mouvements du texte

Nous avons vu, en cours, que décomposer le texte n’était pas aisé : la dynamique des textes de Colette, les liaisons internes, redisons-le, sont telles qu’en effet, rendre lisible une architecture ne va pas de soi. Nous sommes en définitive partis de ce que Colette donnait à voir : les saisons de l’enfance ; ce qu’on pourrait appeler la scène de la tempête au jardin (dès lors que la mère entre en scène) ; enfin, dans une vue rapprochée, la mise en scène de la mère contemplant un flocon de neige. La progression du texte resserre subtilement la focale, de la nature environnante à la terrasse de la maison.

Reprenons :

  1. « Il y avait dans ce temps-là de grands hivers… » : l’évocation nostalgique des saisons intenses de l’enfance.
  2. « Avertie par ses antennes… » : le jeu de la petite Gabrielle avec la bourrasque d’Ouest sous l’égide de sa mère.
  3. La mise en scène de la mère au milieu du “fracas”, étrange et impressionnante, plongée dans la contemplation d’un flocon de neige (dernier paragraphe).

Pistes pour une relecture au plus près du texte

Colette évoque les saisons de son enfance.

  • Qu’est-ce qui se dégage de la première phrase ? Quelle atmosphère ? Vers quel genre littéraire ce début fait-il signe ? Pourquoi ? Appuyez-vous sur le complément circonstanciel à l’attaque de la phrase, sur la référence chronologique (est-elle claire ?), sur le temps employé.
  • Pensez aussi à recompter les syllabes : qu’entend-on sur le plan rythmique ? Quel sens donner à cela ? Songez aussi aux sons (“grands”, “brûlants”).
  • Pourquoi dès la première phrase peut-on parler d’intensité ? Est-ce seulement lié aux adjectifs employés ?
  • Soyez bien vigilants : la narratrice emploie un autre temps dans la seconde phrase, qui renvoie à une autre époque de son existence. Elle distingue ainsi les saisons de l’enfance de celles vécues “depuis”.
  • Quelle image le texte donne-t-il des étés de l’enfance ? Appuyez-vous bien sûr sur les adjectifs, mais surtout, étudiez tout le système de comparaisons et d’antithèses, ainsi que sur le réseau de couleurs bâtis par Colette. Comment compare-t-elle les étés disparus à ceux qu’elle a connus après son enfance ? Revoyez ce que sont l’ocre, le panais, si besoin.
  • Toujours sur ce point, examinez bien sûr les images, nombreuses ici, et qui sont intéressantes au sens où elles sont d’abord des souvenirs visuels (le “géranium”), restitués d’une façon particulière (“le géranium écarlate”), dans un réseau de couleurs (voir ci-dessus) qui les charge symboliquement (cf. “le géranium écarlate”, comparé à la “terre ocreuse”). Certaines sont travaillées de sorte qu’elles sont pleinement métaphoriques, telle la “hampe enflammée des digitales”. Ici, vous pouvez prendre du recul sur tout le début du texte et identifier une isotopie du feu, de l’été “brûlant”.
  • Mais la “hampe enflammée” prépare aussi quelque chose que, peut-être, le rythme de la première phrase pouvait laisser présager : l’inscription de ce texte dans une tonalité épique (bien vu en 1A). Voir plus loin.
  • Nous nous y sommes trop peu attardés, or c’est important de le faire à présent : pensez à donner sens au verbe “commémorer” : que signifie-t-il (ce n’est pas se remémorer) ?
  • Ce qui peut aussi vous intéresser, s’agissant de ce verbe, c’est que le texte lui-même s’apparente à une commémoration…
  • Pensez aussi au rôle de la négation, portée par le déterminant “aucun” et la préposition “sauf”. Posez-vous par exemple une question simple : le propos est-il nuancé ?
  • Du début du texte à la fin du premier paragraphe, intéressez-vous à tout ce qui relève de l’hyperbole.
  • Que dire ensuite de la vision que donne le texte des hivers de l’enfance ? Cette fois, vous aurez à analyser la façon dont l’écriture met en scène les contrastes visuels créés par l’hiver.
  • De quel niveau de langue relève le terme “nues” (un dictionnaire vous renseignera en un clin d’œil) ? Que dire de ce choix ? Qu’essaye de faire Colette avec cette description ?
  • Soyez attentifs aux effets d’accumulation, et là encore aux hyperboles, à l’importance des pluriels, aux images bien sûr : pourquoi des “bourgeons lancéolés” ? Quel lien peut-on faire avec “la hampe enflammée des digitales” ? Et avec l’ouverture de l’extrait ?.
  • Que pensez-vous de la façon dont Colette, en somme, évoque cette part d’enfance ? Quel rôle l’adulte écrivant joue-t-elle ? S’agit-il de restituer le regard de l’enfant ? De magnifier après-coup ce que fut la découverte de la nature et des saisons ?
  • Comment la venue la tempête est-elle évoquée ? Que suggèrent le récit de l’observation des présages quant à la petite Colette ? Songez à l’acuité des sens : est-elle réaliste (je fais référence au “faible ronflement de mer lointaine”) ?
  • Au risque d’une lecture plus psychanalytique que littéraire, mes élèves, l’an passé, ont questionné l’homophonie entre la “mère”, qui est mise en scène quelques lignes plus bas, et la mer d’où provient le vent d’Ouest (cf. le “ronflement de mer lointaine”). Il me semble que cette année, l’un de vous est allé aussi, mais brièvement, dans cette direction. Attention, il ne s’agit pas de dire que la mère de Colette ronfle… Mais d’interroger la mention de la mer, quand survient la tempête venue de l’ouest, et que s’apprête à entrer en scène… la mère de Colette, qui paraît communiquer, voire communier avec la nature.
  • Comment sensations et imagination sont-elles articulées ?

L’approche de la tempête est une occasion d’un jeu, d’un partage, d’une initiation.

  • À quoi la jeune Colette joue-t-elle avant que n’apparaisse sa mère ? Quelle image d’elle-même, enfant, donne-t-elle, avec sa “tête encapuchonnée” ? (Songez au genre littéraire auquel pouvait renvoyer la première phrase de l’extrait.)
  • Comment interprétez-vous l’image de la mère et de la fille, ensemble au dehors (même si la fille est dans le jardin, la mère sur la terrasse) ?
  • Que pouvez-vous dire du terme “antennes” ? N’hésitez pas à reparcourir l’extrait du Journal à rebours que nous avons étudié : l’écho a été bien vu par l’une de vos camarades.
  • Quelle image de la mère et de ses réactions la phrase commençant par “Avertie…” donne-t-elle ? Appuyez-vous sur la construction de la phrase et la longueur des groupes qui la composent. Cette phrase est construite sur le principe de la parataxe (les groupes sont juxtaposés).
  • Quel temps est employé ici ? Pourquoi d’après vous ? La réponse est peu évidente, à dire vrai : l’épisode raconté s’est-il maintes fois répété ? Ou bien le temps employé permet-il de sacraliser un tel moment, de lui donner une épaisseur temporelle qu’il n’avait pas au départ (comme si la scène, très vivement ancrée dans la mémoire, avait été revue plusieurs fois en pensée) ?
  • Que pensez-vous du cri de la mère ? Et plus largement, comment lisez-vous ce mouvement ? Inquiétude d’une mère attentive à sa maison ? Scène d’initiation ludique pour une jeune fille qui apprivoise les caprices de la nature ?
  • Pourquoi Colette, d’après vous, prend-elle soin de restituer le “cri” de sa mère au discours direct dans la phrase suivante ? Vous serez attentifs à la ponctuation, aux phrases sans verbe, à leur longueur respective. Tout cela dessine un portrait de la mère en action.
  • Que dire de la métaphore filée (“Mousse exalté” étant suivi de l’image du “navire natal”) par laquelle Colette se met en scène enfant ? Plusieurs lectures sont possibles. Il est tout à fait envisageable de lire, qui serait très discrète ici, une marque d’amusement de la part de l’autrice adulte. Mais on a vu aussi que la tonalité épique, au service de la mythification de l’enfance, opérait plus haut. On en aurait ici un autre indice, que prolonge du reste la suite du texte avec l’évocation du ciel.
  • Pensez aussi à décompter les syllabes et à repérer les effets de rythme.
  • La phrase qui commence par “Mousse exalté…” est particulièrement travaillée sur le plan de la construction et du rythme : à l’image de la protagoniste, on peut dire d’elle qu’elle s’élance. Réduisez-la à son noyau, sa structure minimale, et vous obtiendrez en effet : “Je m’élançais”. Tout le reste est ajout. Attention : ne fatiguez pas les oreilles de votre examinateur avec une remarque sur la quantité de virgules... Ce qu'on attend de vous, sans entrer dans une analyse grammaticale, car ce n'est pas l'objet de l'explication, c'est de décrire la façon dont la phrase se déploie (et c'est à cause de ce déploiement, de l'ampleur donnée à la phrase, que se multiplient les virgules). Quelques précisions au besoin : appositions ("mousse exalté...", "enthousiasmée") et subordonnée participiale, c'est-à dire construite sur un participe ("claquant des sabots") apportent des précisions à la mise en scène vivante de la jeune Colette. Le même principe régit la construction de la subordonnée ("si du fond de la mêlée...") : on lit, dans cette proposition, un complément circonstanciel ("du fond de la mêlée...") incluant des épithètes ("blanche et bleu noir", qui rappellent les couleurs évoquées plus haut), puis une apposition à "mêlée" ("sifflante") ; ensuite, les deux sujets de la subordonnée ("un vif éclair, un bref roulement de foudre"), une nouvelle apposition ("enfants d'Ouest et de février"), puis le verbe et son complément. Diriez-vous de cette phrase qu'elle mime la tempête ? Le jeu de la petite Colette ? Ses émotions ? Attention : je ne mets en évidence la structure ici que pour vous montrer, et c’est cela à quoi je vous invite à vous attacher, que la phrase se déploie grâce à de nombreuses expansions. Vous n’êtes pas tenus, ni n’avez le temps de développer toute une analyse syntaxique.@@
  • Toujours dans cette phrase, vous pouvez appuyer votre propos, non seulement sur la construction, mais aussi sur les figures de style : pensez aux personnifications et à l’hyperbole finale, presque apocalyptique, par exemple.
  • Reportez-vous à ce que la jeune Sidonie-Gabrielle attend, guette au beau milieu de la tempête. Quel sens donnez-vous aux points de suspension ?
  • Que penser de la phrase sur la “fin du monde” ? À quoi l’enfant joue-t-elle ? L’ouverture de l’extrait donnait-il déjà le ton que l’on retrouve ici ?

Colette met en scène sa mère dans un paragraphe conclusif.

  • Pensez peut-être d’abord à la vision d’ensemble que vous avez construite de ce dernier paragraphe : éloge discret d’une mère aux commandes du monde, ou du moins en harmonie avec lui ? admiration de la petite fille pour sa mère, elle-même admirative de la nature ? Hommage rendu à la mère initiatrice ?
  • Songez à la valeur conclusive du paragraphe. Le blanc final, après les points de suspension, donne d’autant plus d’importance à ces dernières lignes, comme si tout notre extrait tendait vers cette chute : l’image de la mère contemplant un flocon de neige.
  • Pourquoi préciser, avec un “mais” adversatif en début de phrase, que sa mère observe un flocon “dans le pire du fracas” ?
  • Nous avons parfois parlé d’école du regard, d’art du regard de la part de la jeune fille. Je vous invite, relativement à ce point, à observer le changement d’échelle qu’opère ce dernier paragraphe. Le motif de la loupe semble même régir les dernières lignes (la mère regarde un flocon à la loupe, et le regard de la petite fille, tourné vers le ciel, s’oriente vers sa mère et vers la loupe : c’est le mouvement que le lecteur est invité à faire mentalement, d’un plan d’ensemble à un gros plan).
  • Qu’apporte au flocon le terme “ramifiés” ? À quel domaine Colette l’emprunte-t-elle ? (Vous tenez là un des traits d’écriture de Colette, qui réfère aussi à sa vision du monde).
  • Après le participe présent, comptez les syllabes dans ce groupe nominal : “les cristaux ramifiés d’une poignée de neige”. Quel effet est ainsi produit ?
  • Que faisait l’enfant avant que la mère ne crie ? Pensez-vous pouvoir faire un parallèle avec sa mère à la fin de l’extrait ?
  • Que dire, s’agissant de la mère, du fait que le flocon a été cueilli par elle “aux mains même de l’Ouest rué sur (le) jardin” ?
  • Là encore, commentez les points de suspension (gare à ne pas dire : les trois petits points, je vous le rappelle).

Quelques échos et prolongements

  • Toujours dans Sido (dans le tout premier texte), lisez le très beau passage qui évoque explicitement l’attention de la mère aux points cardinaux, et qui s’ouvre par ces mots : “Levée avant le jour…”. Quels échos décelez-vous avec notre extrait ?
  • De même, lisez la dernière phrase du texte consacré à la mère.
  • Je vous procure, via Pearltrees, un autre texte : au début du roman La naissance du jour, Colette évoque une lettre de sa mère, qui refuse de venir visiter sa fille et son époux (H. de Jouvenel), malgré son souhait affirmé de le faire, au motif qu’elle veut voir fleurir son cactus rose (dont la floraison est rare). Or, nous disposons de la véritable lettre de la mère, qui avait accepté l’invitation. Une telle transformation est révélatrice de la façon dont Colette met en scène sa mère, et fait de cette personne un personnage​​​​​​​.
  • Pourquoi ne pas tisser des liens entre notre extrait sur la mère de l’écrivain, et celui que nous avons étudié, extrait de “Nuit blanche”, dans Les Vrilles de la vigne, et particulièrement à sa toute fin ?
  • Ou encore, avec l’extrait du Journal à rebours. Quels échos pourriez-vous faire entendre ?
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