Voici une page pour vous aider à vous approprier pleinement l’extrait du Journal à rebours.


Pour situer le texte

Je vous renvoie à vos notes sur ce qu’est le Journal à rebours. L’extrait que nous avons lu est issu de “La chaufferette”, texte qui s’ouvre sur un objet disparu, familier des écoliers de la fin du XIXe siècle : une boîte de métal emplie de braises, qui permettait à chaque élève de se chauffer à l’école. À partir de l’évocation de cette chaufferette, Colette en vient à décrire la vie à l’école, son enfance, et son rapport à l’écriture (c’est d’ailleurs, cette trajectoire, un processus d’écriture dont nous sommes devenus familiers : un élément anecdotique conduit l’écrivaine à développer une réflexion : la chaufferette revêt une dimension symbolique au sens plein du terme ; de même le “fredon défensif” du père, ou le jeu avec la “bourrasque d’Ouest” dans Sido).


Vers un angle de lecture : embryons de pistes

  • Un anti-récit de vocation littéraire
  • Une image paradoxale du rapport de Colette à l’écriture
  • Une page qui dévoile la véritable origine de l’écriture de Colette : un rapport au monde fait de…, fondé sur…
  • Une page riche de paradoxes, où Colette met en scène sa singularité d’écrivain
  • Une page où se lient célébration de la nature et de l’enfance, et réflexion sur le rapport à l’écriture

Mouvements du texte

Je vous propose deux façons d’envisager l’architecture de ce texte. J’ai aujourd’hui une préférence pour la première, mais affiner (et donc décomposer en trois temps, comme dans la seconde version) peut aider à structurer une explication.

Première lecture de la composition

1. Colette évoque le rapport qu’elle avait, enfant, avec l’écriture, et exprime une “répugnance” à l’égard de l’écriture (répugnance dont le caractère paradoxal peut bien sûr nous surprendre). La phrase exclamative qui commence par ces mots : “Quelle douceur j’ai pu goûter…” articule assez nettement les deux mouvements du texte.
2. L’autrice dépeint, en contrepoint, une jeunesse heureuse, tout en sensibilité, au sein d’un univers paradoxalement pauvre et merveilleux à la fois : une enfance pour elle préservée de l’écriture.


Seconde solution

1. Colette évoque le rapport qu’elle avait, enfant, avec l’écriture, et exprime une “répugnance” à l’égard de l’écriture (répugnance dont le caractère paradoxal peut bien sûr nous surprendre).
2. Elle dépeint, en contrepoint, une jeunesse heureuse et tout en sensibilité, tournée vers le monde, et en même temps, par là même, préservée de l’écriture (à partir de “Quelle douceur…”).
3. Le texte s’achève sur une célébration paradoxale du monde de l’enfance (à partir de “Point de chemin de fer…”). Pays natal, maison familiale : autant de lieux de pauvreté et de dénuement.

J'ai pu proposer une autre lecture de la composition du texte en cours. En effet, comme c'est souvent le cas sous la plume de Colette, notre texte est construit avec une grande fluidité : l'analyse de sa structure a quelque chose d'un peu artificiel (d'autant que notre extrait ne connaît aucune division en paragraphes). Ainsi, on peut très bien associer le passage sur l'école et les "anges ébouriffés" au second mouvement, ce que je fais ici (parce que Colette fait implicitement un parallèle entre ce que le monde, puis ce que l'école lui a appris), ou lier cette évocation à la suite (placée sous le signe de la pauvreté paradoxalement prodigue).


Pour lire le texte au plus près

L’extrait s’ouvre sur l’expression d’une répugnance paradoxale face à l’acte d’écrire.

  • Je vous invite à montrer comment Colette oppose lecture et écriture. Appuyez-vous notamment sur les questions rhétoriques.
  • Observez le paradoxe qu’éclairera la suite du texte : qu’entrave donc l’écriture selon Colette ?
  • La “répugnance” qu’inspire l’acte d’écrire (mise en valeur par le déterminant démonstratif “cette” et surtout par sa position en tête de phrase) s’exprime de façon assez forte : pour le démontrer, appuyez-vous sur les négations et les procédés d’insistance.
  • Bien sûr, vous aurez à commenter la négation. Examinez la place des termes négatifs dans ce début de texte, en particulier. Faites attention à ne pas proposer un exposé grammatical avant l’heure : ce n’est pas l’objet de l’explication. Continuez de lier sens et écriture.
  • De même, pensez à faire le lien entre le sens et les exclamations.
  • Je vous invite à voir aussi l’énumération ironique de stéréotypes : ces figures sont autant de clichés de l’écrivain inspiré, de l’écrivain amateur que vous avez ici à analyser. De quoi, de qui Colette se moque-t-elle ici ?
  • Quel rôle l’italique joue-t-il dans l’expression : “faite pour ne pas écrire” ? Quelle est la place de l’adverbe de négation, qu’en dire ?
  • En quoi la jeune Colette apparaît-elle comme un être à part ici à la fin de ce premier mouvement ?
  • Je vous livre une réflexion, faites-en ce que vous désirez : le dernier cliché qu’elle évoque est celui de l’écrivain amateur qui cherche une première reconnaissance, voire un adoubement, auprès d’un écrivain installé. Affirmer n’avoir jamais procédé ainsi singularise encore Colette et fait écho à un motif central dans notre extrait : Colette entretient un rapport immédiat au monde (sans intermédiaire, sans la médiation de l’écriture) ; et au fond, il en va de même… de son lien avec l’écriture.

Vous avez pu dire, en 1A notamment, que cette entrée en matière était une forme d'orgueil - et vous n'avez pas forcément tort. Toutefois, gardons-nous d'énoncer un jugement de valeur sur la personnalité de l'autrice lors de l'oral ; restons lucides, par ailleurs, quant à la stratégie littéraire et argumentative déployée dans ce texte : Colette a la conviction d'être devenue écrivaine sans l'avoir cherché ; il s'agit ici d'offrir une explication, une genèse de l'écrivaine, par le goût du monde suscité dès l'enfance par la vie en Bourgogne.


Après avoir réfuté tout désir d’écrire dans sa jeunesse, Colette célèbre la nature prodigue qu’elle a connue et aimée.

Dit autrement, après que Colette a dit ce pourquoi elle n’était pas faite, elle en vient logiquement à ce pourquoi elle l’était : c’est, classiquement, le mouvement d’une argumentation (qui passe par une réfutation avant de déployer ce qu’en rhétorique classique on nomme une confirmation).

  • Après les exclamations exprimant la “répugnance”, qu’exprime celle qui s’ouvre par “Quelle douceur…” ? Que Colette valorise-t-elle ici ?

La phrase exclamative, dont nous avons vu le rôle de transition qu'elle jouait, peut aussi bien être analysée à la fin du premier mouvement, qu'au début du second.

  • Pensez à caractériser les adjectifs “libre et solitaire” qui qualifient l’adolescence. Vous aurez peut-être noté, même si vous n’en connaissez pas le nom, la figure de l’hypallage : ce ne sont ni l’enfance, ni l’adolescence qui sont libres, mais Colette elle-même (hypallage, n. f. : cette figure lie syntaxiquement un mot à un autre, alors qu’il se rattache sémantiquement et logiquement à un autre terme). On peut interpréter cette hypallage comme le signe, chez Colette, d’une jeunesse pleinement éprouvée.
  • Soyez toujours à l’écoute du rythme et des sons : la séquence “mon enfance, ma libre et solitaire adolescence” se révèle particulièrement harmonieuse (3 puis 10 syllabes, décomposables en 2, puis 2 fois quatre syllabes, orchestrent un crescendo rythmique, très régulier ; les finales se sont harmonieusement écho).
  • Que véhicule l’image des “subtiles antennes” selon vous ? Cette métaphore est assez riche et ouverte à l’interprétation.
  • Quel rapport au monde Colette restitue-t-elle ? Pensez à commenter le sens des verbes qu’elle énumère, mais aussi le rythme de cette énumération, et les sons.
  • Une autre énumération prend le relais : que permet-elle à Colette d’exprimer ? Pourquoi des singuliers et des déterminants définis (“l’oiseau”, “(le) lièvre”) pour les animaux ?
  • Toute cette phrase mérite que l’on s’y attarde autant que le permettra l’épreuve. Pensez à l’énumération bien sûr : que peut-on en dire ? Songez à ce qui caractérise ces “déserts (…) sans périls”, ces “empreintes”, ces étangs encore, aux sensations contrastées qu’ils provoquent selon les saisons. Quelle image du monde cela crée-t-il ? Quel portrait de l’enfant, en creux ?
  • Observez la longueur croissante des groupes, qui donne de l’ampleur à la phrase.

  • Pensez aussi à la fin de la phrase : il s’agit, on aurait pu ne pas le voir, d’une adresse. La phrase est donc nettement lyrique, en ce sens que Colette s'adresse, musicalement, aux territoires qu'enfant, elle a aimés et arpentés.

Je précise si besoin que loin de n’être que l’expression des sentiments personnels, à quoi on le réduit parfois, le lyrisme consiste à mobiliser les ressources musicales de la langue pour s’adresser à, ou évoquer quelqu’un ou quelque chose d’absent, ou d’idéal, et par ce biais toucher autrui. Pour comprendre et mémoriser cette conception du lyrisme, songez à la lyre qui lui donne son nom : c’est l’instrument du poète Orphée, descendu aux Enfers pour qu’on lui rende, vivante, son épouse Eurydice.

D’une façon générale, si j’insiste sur l’analyse du rythme et parfois des sons, c’est parce que ces deux aspects contribuent pour beaucoup à la singularité des textes de Colette, particulièrement ceux qui expriment une harmonie intérieure, ou le bonheur, tout simplement, ou encore, et cela va souvent de pair, la célébration de la vie, du monde et des êtres aimés. Lire les textes de Colette à voix haute permet de mesurer que cette célébration passe souvent moins par l’explicite que par la matière sonore qu’ils offrent.

  • Dans un mouvement logique qui ramène le texte à l’école (après avoir raillé, plus haut, la posture de l’écolière modèle et écrivaine en herbe), Colette pose une question que je vous invite à interpréter : elle porte sur la nature de ce qu’enfant, elle a réellement appris à l’école.
  • Pensez à caractériser la vision de l’école, ce “rude paradis…” où l’on consomme une étrange “manne céleste”, ainsi que celle des écoliers.
  • Pourquoi Colette évoque-t-elle le bois, le poêle, les tartines, le pain gris ?
  • Pensez aux points de suspension. Quel effet produisent-ils selon vous ?
  • Subtilement, l’évocation de l’école introduit le motif de la pauvreté, que développent les dernières lignes.
  • Le texte s’achève par la mythification paradoxale d’une enfance vécue dans un pays austère et isolé. Quel rôle les négations jouent-elles ? Quelle place occupent-elles sur le plan syntaxique ?
  • À partir de “Dans ma famille”, relevez la structure des phrases : pourquoi cette construction ?
  • Quel triptyque donne à la petite Sidonie-Gabrielle tout le bonheur qu’elle souhaite ?
  • La dernière phrase clôt le passage, logiquement, par un retour à la vocation d’écrivaine évoquée au début, extérieure et donc forcément injonctive (cf. l’image de la voix soufflant à l’oreille le conseil d’écrire ; pensez à caractériser celle du “petit souffle froid”). Qu’est-ce que cette injonction a de négatif ?
  • La formule de clôture, “ma bondissante ou tranquille perception de l’univers vivant”, perception qui échappe au désir d’écrire, n’est-elle pas l’origine même de la véritable vocation d’écrivaine de Colette ? Que dire de cette formule et de cette alternative, “tranquille ou bondissante” ?” Que suggère l’hypallage : “bondissante ou tranquille perception…” (hypallage, parce que c’est bien Colette qui était “tranquille ou bondissante”, en observant la nature) ? Je vous renvoie à ce que je suggérais plus haut s’agissant de l’usage que l’écrivaine fait de cette figure. Quelle image donne-t-elle de nouveau d’elle-même par l’adjectif “bondissante” ?

Précision quant à la caractérisation

Quand je vous invite à caractériser telle expression, tel procédé, il s’agit d’en dire la caractéristique essentielle (tel rythme peut être enlevé, ou lent ; tel adjectif peut être valorisant…). Par exemple, à la fin du texte, les adjectifs “bondissante” et “tranquille”, en contexte (et non dans l’absolu), revêtent un caractère mélioratif : ils disent tour à tour la vitalité et le goût de la contemplation qu’a cultivés Colette enfant.


Prolongements

  • Je vous invite à relire cette superbe phrase, dans “Jour gris”, in Les Vrilles de la vigne : “J’appartiens à un pays que j’ai quitté”. Vous pourriez la relier efficacement à notre extrait : que dire par exemple, du verbe “appartenir”, qui entre en résonance avec cette page du Journal à rebours ?

Je rappelle qu'à l'oral, on doit proscrire toute ouverture artificielle, qui consisterait à dire : "on peut relier ce texte à ce texte", sans rien ajouter. Proposer une mise en perspective, un prolongement, s'il est fondé sur l'évocation d'une autre œuvre, c'est souligner des similitudes intéressantes que vous aurez repérées en lisant.


  • Aussi bien, vous pouvez tisser des liens avec tout ce qui, dans votre livre, renvoie à la nature aimée par Colette, à l’osmose avec le monde.
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