Je reviens ici sur l’extrait de Phèdre que nous avons lu, afin de vous aider à le relire et à préparer votre explication en vue de l’oral. Que ce texte, parce qu’il est plus ancien que celui de Lagarce, parce que sa forme est visiblement plus codifiée, ne vous effraie pas. Le cas échéant, envisagez-le justement comme offrant de multiples prises à l’analyse, grâce à sa musicalité, à l’accord ou aux discordances entre phrase et vers, notamment, à la tension entre la mesure du vers et la démesure de la colère de Thésée.

N’hésitez pas à consolider vos connaissances en matière de versification, grâce au document méthodologique en annexe, pour comprendre tous les effets que Racine tire du travail du vers.


Délimitations de l’extrait

  • Acte IV, scène 2.
  • De “Fuis, traître. Ne viens point braver ici ma haine, …” (Thésée) à “Approuvez le respect qui me ferme la bouche…” (Hippolyte). Ce sont les vers 1053 à 1090 de la pièce.

Jean Racine en quelques mots

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  • 1639-1699
  • Très tôt orphelin, Jean Racine reçoit une formation morale, intellectuelle et culturelle de premier ordre au sein du monastère de Port-Royal, où sa grand-mère l’a emmené en se retirant. L’abbaye de Port-Royal-des-Champs est à l’époque un centre spirituel où des nobles issus des plus grandes familles du royaume se sont retirés, et le foyer du courant du Jansénisme en France.
  • Loin de la rigueur janséniste de son enfance et de sa jeunesse, il compose de la poésie et des pièces de théâtre à partir des années 1660, et fait représenter sa première pièce, La Thébaïde ou les Frères ennemis (sur Étéocle et Polynice, les frères d’Antigone) par la troupe de Molière en 1664.
  • La décennie qui le voit devenir, après Molière, le plus grand auteur dramatique du temps et de la Cour, s’ouvre vraiment avec la création d’ Andromaque en 1667, qui rencontre un succès équivalant à celui du Cid de Corneille, trente ans plus tôt. Dix ans plus tard est créée Phèdre et Hippolyte, à l’Hôtel de Bourgogne, pièce qui sera rebaptisée Phèdre par son auteur lors de la première édition de ses œuvres complètes en 1687 - le dramaturge opérant donc un changement de focale par rapport à la pièce d’Euripide : le vrai personnage tragique est avant tout la femme dévorée par l’amour.
  • Andromaque, Britannicus, Bérénice, Bajazet, Mithridate, Iphigénie : les grandes tragédies de Racine mettent souvent en scène des personnages en proie à des passions destructrices ; la mesure de l’alexandrin classique, d’une part, et une construction dramatique tendue vers un dénouement tragique d’autre part enchâssent ces sentiments terribles.
  • Racine créera encore deux autres pièces, généralement jugées de moindre envergure, à la demande de Madame de Maintenon, pour les jeunes filles de Saint-Cyr. La faveur du roi, dont il est nommé historiographe, accompagne les dernières années de sa vie.
  • Le nom de Racine reste attaché au règne du Roi-soleil, à la tragédie classique, comme s’il avait porté ce genre à son apogée, et à l’alexandrin : si ce vers est depuis longtemps en usage en France, on cite souvent l’auteur de Phèdre lorsqu’on en veut évoquer la beauté, tant il a su allier les ressources musicales de ce mètre avec une langue qui brille par son apparente simplicité, comme en témoigne le célèbre plaidoyer d’Hippolyte : “Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur”.

Pour situer l’extrait, du contexte de création de la pièce aux scènes qui le précèdent

  • Lors de la création de Phèdre, en 1677, Racine est au sommet de sa gloire. La pièce est encore aujourd’hui encore unanimement jugée comme le couronnement de son œuvre.
  • Rappelons brièvement que Racine reprend la pièce d’Euripide, l’un des grands dramaturges du Ve siècle avant J.-C., soit l’âge d’or de la tragédie grecque. Cette œuvre, intitulée Hippolyte porte-couronne, était comme son titre l’indique centrée sur le personnage d’Hippolyte. Racine conserve les principaux éléments du mythe porté à la scène par son prédécesseur. Faut-il le rappeler, même Euripide n’invente pas l’histoire : il s’approprie un matériau mythique transmis par voie orale au fil des siècles ; le geste éminemment classique de Racine prolonge celui du dernier grand auteur tragique de la Grèce antique. Quant à vous, vous travaillez pour le Bac sur une histoire qui a probablement trois mille ans, si ce n’est plus !
  • Voici les principaux éléments de cette intrigue, tels que Racine les reprend, jusqu’à notre extrait ; je mets en gras l’essentiel : la scène est à Trézène, ville du Péloponnèse. Phèdre (ce qui signifie “la brillante”), descend du soleil et d’une lignée maudite : sa mère Pasiphaé a engendré le Minotaure en s’unissant à un taureau, sa sœur Ariane a été abandonnée par Thésée). Épouse de ce même Thésée, roi d’Athènes, héros depuis longtemps parti et que l’on croit mort, la reine est tombée très tôt amoureuse du fils de ce dernier, Hippolyte. Le jeune homme la rejette lorsqu’elle lui avoue, presque malgré elle, cette passion secrète, interdite et mortifère. Au beau milieu de la pièce de Racine (au vers 827 sur les 1654 qu’elle compte : « Le roi, qu’on a cru mort, va paraître à vos yeux »), l’on annonce que Thésée, vivant, est de retour ; Hippolyte le retrouve, mais brièvement, presque froidement : c’est qu’il se sent quant à lui se sent coupable d’un autre amour : il aime Aricie, survivante de la maison des Pallantides, une famille rivale de Thésée, et décimée par lui ; la jeune femme est condamnée à n’avoir jamais d’époux ni de descendance. Hippolyte s’apprête à fuir, prétextant vouloir se hisser à la hauteur des exploits paternels. Mais revenons à Phèdre : Œnone, sa servante, craignant que n’éclate la vérité au détriment de sa maîtresse, calomnie alors Hippolyte auprès de Thésée, et prétend qu’il a tenté de séduire la reine. Ignorant tout de ce mensonge, le jeune prince se rend de nouveau à la rencontre de son père, afin d’avouer sa passion pour Aricie. C’est ainsi que père et fils se retrouvent.

Votre projet de lecture

Relisez l’extrait plusieurs fois. On peut être sensible à de nombreuses dimensions du texte, et fonder sur ce qui nous touche, ou ce qui résonne avec l’œuvre de Lagarce pourquoi pas, un projet de lecture convaincant. Nous en avons envisagé un certain nombre en cours, qui portaient sur les angles suivants, notamment :

  • cet extrait met en scène une condamnation à mort, d’un fils par son père.
  • Placé sous le signe du tragique, cet extrait opère une bascule décisive, dès lors qu’Hippolyte, par son silence et par la parole de son père, est voué à la mort.
  • Racine met ici en scène les noirs effets d’un mensonge et l’impossible défense d’un fils.
  • Il s’agit de mettre ici en scène et en vers un double silence, celui d’Hippolyte, subi puis volontaire.
  • (Si l’on est particulièrement sensible à l’esthétique de l’extrait) : Un père expose ici son fils à une rage mortelle, mais dans la trame ouvragée et harmonieuse de l’alexandrin et de la tragédie classiques.
  • Cet extrait oppose frontalement un déchaînement de la parole, celui d’un Thésée fou de rage, à un silence absolu, celui de son fils Thésée, dévasté par le mensonge, écrasé par le destin, et soucieux de la dignité de son père.
  • Etc.

Ce ne sont là que des exemples : ils insistent tantôt sur la parole et ses effets, tantôt sur le silence, ou bien encore sur l'esthétique de la page.

Songez aussi, et peut-être d’abord, pour formuler une ligne directrice qui vous satisfasse, à l’horizon de lecture qui est celui du spectateur. On sait Thésée dévoré par la colère, mais Hippolyte ignorant de ce qui l’attend, et animé, en revanche, d’un sentiment de culpabilité qu’il voudrait dépasser pour dire son amour pour Aricie. Quelle forme cette rencontre peut-elle revêtir dès lors ?

Nous sommes loin, et proches à la fois de certains des enjeux qui irriguent les retrouvailles familiales chez Jean-Luc Lagarce…


Mouvements du texte

Comme toujours, ceci n'est qu'une suggestion de lecture de la composition de l'extrait ; ici, cependant, la composition du texte est assez évidente.

À première vue :

  • 1. Thésée exprime toute sa rage dans sa tirade.
  • 2. Dans l’échange qui suit, Hippolyte n’oppose que silence, parce qu’il est surpris et soucieux de protéger la dignité de son père.


Pour affiner cette lecture (et de facto structurer plus précisément votre explication) :

  • 1. Thésée chasse Hippolyte.
  • 2. Puis il en appelle à Neptune pour assouvir sa vengeance.
  • 3. À cette rage, Hippolyte n’oppose que silence, parce qu’il est surpris et soucieux de protéger la dignité de son père.

Lecture détaillée

Thésée, fou de rage, chasse son fils de son royaume et de sa vue.

  • Cette rage s’exprime en particulier par l’emploi du verbe fuir : je vous laisse observer la façon dont ce dernier scande la tirade. Vous serez attentif à la place du verbe dans la tirade (revoyez si nécessaire ce qu’on nomme une anaphore : tout se passe ici comme si le verbe régissait l’ensemble du propos), mais aussi bien sûr au mode (l’impératif), à la brièveté de cette injonction, aux variations qu’elle connaît dans la tirade, à la manière dont cet ordre rompt le rythme habituellement régulier de l’alexandrin.
  • Rappelez-vous l’œuvre de Lagarce : rien n’empêche de voir dans cet ordre répété une didascalie interne : que pourrait faire un metteur en scène ? Que fait Patrice Chéreau (cela a été bien dit en Première A notamment, lorsqu’a été soulignée la différence entre l’ordre donné et le geste de Thésée) ?
  • (Attention à « à peine », qui signifie avec difficulté.)
  • N’hésitez pas, dans un premier temps, à exprimer ce que vous avez compris, en vous appuyant sur le sens littéral : pourquoi Thésée dit-il à son fils de partir sur-le-champ ? Que pourrait-il lui faire ? Pourquoi ne le fait-il pas ?
  • Je vous invite à voir comment ce premier temps de la tirade est construit : au terme de deux ou trois lectures, les reliefs en sont nets, et mettent en évidence la façon dont Thésée justifie l’acte de condamnation qu’il est en train de proférer. Il apparaît successivement en père (d’un fils indigne), en héros (à la gloire souillée), puis en roi (dont les Etats doivent être purgés de tout monstre). Je fais l’économie d’une référence précise à ce qui justifie cette lecture, mais vous, à l’oral, devrez citer le texte à l’appui d’une telle remarque.
  • J’attire votre attention sur le vocabulaire de l’insolence (“braver ma haine”, “pied si téméraire”) et surtout sur celui du déshonneur. Pensez par exemple à l’hyperbole : « opprobre éternel ».
  • Thésée, on l’a vu, est fou de rage. Il est donc essentiel que le vers en rende compte, non seulement dans les mots, mais dans la forme, fond et forme étant toujours profondément liés. Ainsi la phrase excède-t-elle parfois la limite du vers, comme le père passe la mesure de la raison : je vous invite à observer les enjambements (“ta mort honteuse à ma mémoire / De mes nobles travaux…” ; “… un châtiment soudain / T’ajoute aux scélérats…” ; “… l’astre qui nous éclaire / Ne te voie en ces lieux…”).
  • Soyez aussi attentif à l’isotopie de l’ennemi et du monstrueux (c’est-à-dire, par-delà le champ lexical, à tous les mots qui renvoient à cette figure ; si le terme “isotopie” fait obstacle, la périphrase “tous les mots qui réfèrent à” suffira). Le terme “traître” (et sa position), l’adverbe intensif “si” devant “criminel”, le terme “scélérats”, le motif du châtiment, l’ “horrible aspect” d’Hippolyte… On peut penser aussi au motif de la souillure et de la purgation (voir l’occurrence du verbe purger). Il est question de purification. Thésée se met ici en scène en héros de la Grèce, qui, comme tel, supporte d’autant moins la trahison et la bassesse supposées de son fils.
  • Néanmoins, cette colère folle se coule dans l’esthétique classique. On peut (ou non) être sensible à des oppositions frappantes : entre déshonneur et gloire, naissance et mort, héros et scélérat…
  • J’attire votre attention sur l’ironie de Racine, lorsqu’il fait dire à Thésée : « Prends garde que jamais l’astre qui nous éclaire / Ne te voie en ces lieux mettre un pied téméraire ». L’astre, c’est bien sûr le Soleil, c’est-à-dire l’aïeul de Phèdre. Thésée enjoint par cette image à son fils de ne pas reparaître ; il évoque par allusion l’ascendance de Phèdre ; mais Racine en même temps fait entendre la malédiction qui pèse sur Phèdre et qui désormais s’abat sur Hippolyte. Peut-être vous rappelez-vous, dans la mise en scène de Patrice Chéreau, les jeux d’ombres et de lumières que vous avez commentés, et le projecteur sur les personnages imitant les rayons du soleil ?
  • Plutôt qu’un “châtiment soudain”, et par crainte d’un déshonneur encore plus grand, Thésée change de destinataire et s’adresse au dieu Neptune, son débiteur.

Thésée se tourne ensuite vers Neptune pour l’implorer.

  • Voyez la force avec laquelle la parole de Thésée invoque et implore le dieu : qu’observez-vous lorsqu’il s’adresse à lui ?
  • La référence aux ennemis de Thésée, les “infâmes assassins”, et au nettoyage articule ces deux mouvements, et fait entrer définitivement Hippolyte dans le rang des ennemis du héros.
  • (“efforts heureux” signifie efforts couronnés de succès.)
  • Vous aurez peut-être noté comment, subtilement, les rimes associent par le son les actes du héros et la récompense attendue (“mon courage…” / nettoyage ton rivage” ; “mes efforts heureux / le premier de mes vœux” ; “tes soins / de plus grands besoins’). Il me paraît essentiel que vous saisissiez cela : les rimes ne sont pas ornement, ou pas seulement : le son précède ici le sens dans l'oreille du spectateur, les rimes établissent une liaison logique que le discours de Thésée explicite : le dieu a une dette envers lui.
  • Je ne m’y attarderais pas forcément, mais de façon assez habile, Racine explique, par ce passage, la longue absence de Thésée, qui a conduit à ce qu’on le croie mort (“les longues rigueurs d’une prison cruelle”). Si on veut lire cela autrement que comme un simple résumé de ce qui n’a pas été expliqué jusqu’à présent, mais c’est d’abord cela, on peut aussi y voir le fonctionnement même de la pièce : c’est parce que Thésée était supposé mort que l’aveu de Phèdre à Hippolyte a été facilité ; durant cette longue absence, le dieu Neptune a contracté une dette à l’égard du héros, qui en requiert désormais le paiement. La pièce s’abat, de tout le poids de sa structure, sur le pauvre Hippolyte. Elle est construite pour le détruire.
  • On peut commenter toutes les étapes par lesquelles Thésée fait appel à Neptune : “Souviens-toi que pour prix de mes efforts… / Tu promis…”, “Je n’ai point imploré…”, “Avares du secours que j’attends de tes soins / Mes vœux t’ont réservé pour de plus grands besoins”, “Je t’implore aujourd’hui”.
  • On peut être frappé par la mesure que retrouve le vers, comme un fleuve déchaîné son lit. Les effets de discordance entre phrase et vers sont plus rares ; la musicalité classique de l’alexandrin, avec une césure à l’hémistiche (au terme de six syllabes) se fait de nouveau entendre : signe de la solennité de la demande de Thésée au dieu ? Du changement de destinataire (d’un “scélérat” à un dieu) ? De la rage à la prière ?
  • La condamnation elle-même, qui n’arrive explicitement qu’au terme de plusieurs vers, s’accompagne d’abord, je vous invite à le regarder de près, d’une accélération. La fin de la supplique est marquée par un enjambement solennel : “Avare du secours que j’attends de tes soins / Mes vœux t’ont réservé pour de plus grands besoins”. Puis le souffle se fait plus court : “Je t’implore aujourd’hui. Venge un malheureux père” (les deux hémistiches sont nettement séparés par le point ; l’ordre mortel tient en un vers).
  • Je ne peux que vous inviter à être attentifs aux impératifs, mais aussi aux sons, par exemple ici : “J’abandonne ce traître à toute ta colère”.
  • Comme je vous y invitais plus haut, il est intéressant d’observer la tension entre la violence (“Étouffe dans son sang…”) et le corset de l’alexandrin, entre la condamnation à mort et les contrastes propres à plaire au spectateur du XVIIe siècle, et qu’emblématise, me semble-t-il, le dernier vers de la tirade, avec deux mots en antithèse mis en évidence par leur position en fin d’hémistiche (“tes fureurs /… tes bontés”.
  • Pourquoi répondre à l’appel de Thésée serait-il satisfaire à “de plus grands besoins” ? Il s’agit au fond d’un parricide que Thésée, on l’a vu plus haut, ne saurait commettre ; et le crime est plus grand quand il vient de son propre fils que d’un monstre comme Thésée a l’habitude d’en combattre : de même la vengeance.
  • Au fond, Thésée enjoint au dieu de répondre aux “désirs effrontés” qu’il prête à son fils par les “fureurs” du dieu (il a d’ailleurs employé le mot fureurs à propos du crime supposé d’Hippolyte, mais avant notre extrait). La logique vengeresse du père est implacable.

Face au réquisitoire et à la condamnation de son père, Hippolyte se tait, ou plutôt dit qu’il se tait et justifie son silence par deux fois.

  • À quoi voyez-vous, dans sa première réplique, l’état dans lequel il se trouve ? Plusieurs éléments peuvent être mentionnés.
  • À qui cette réplique est-elle adressée ? Hippolyte répond-il à Thésée ? Sinon, quel sens donnez-vous à cette réplique ? Gardez toujours à l'esprit que vous lisez et expliquez un texte théâtral, non un récit : les personnages parlent, et généralement se parlent. Tout écart avec le dialogue est intéressant à observer. (Attention toutefois à ne pas parler de monologue si un personnage n’est pas seul en scène, nous l’avons amplement dit en travaillant sur Juste la fin du monde).
  • Pas de discordance entre la phrase et le vers chez le jeune prince : la phrase est prise dans la gangue de l’alexandrin, toute retenue, à l’image de cette parole qui s’éteint.
  • De même, songez à la brièveté de sa réplique, au regard de la tirade du père. On peut d’ailleurs commenter ce silence dès avant la réplique d’Hippolyte : si la tirade du père est si longue, c’est que le fils se tait.
  • J’attire votre attention sur le fait que ce premier silence, Hippolyte l’explique de plusieurs manières différentes, avec une gradation qui va de l’âme et de l’esprit jusqu’au corps : âme, parole, voix. Si l’on songe à Lagarce, on voit que la mise en scène du silence pose toujours un défi à un dramaturge, par nature, puisque le théâtre, c’est une histoire non pas racontée, mais jouée, dite par les personnages. Mais vous avez ici un traitement classique du silence, très éloigné du traitement moderne de la parole qui s’amenuise ou dit ses impasses dans Juste la fin du monde.
  • Songez à ce que le silence d’Hippolyte peut laisser croire à son père.

  • Thésée interprète justement ce silence en le reliant au fait qu’Hippolyte n’ait, lors de leur dernière entrevue, rien laissé paraître ni entendre. Que pensez-vous d’ailleurs des deux premières rimes de la réplique de Thésée, selon vous ?
  • Observez la place du mot “traître”. Qu’en dites-vous ?
  • Nous avons amplement commenté, peut-être plus en 1re B qu’en 1re A, la place éminente et le sens très riche du terme “fer”, et les sonorités qui donnent presque l’impression qu’elles génèrent le mot dans la bouche de Thésée (“… Phèdre enseVelirait ta brutale insolence. / Il Fallait en Fuyant ne pas abandonner / le Fer”). Du fait de l’enjambèrent et de l’accent, le mot est mis en valeur au vers suivant. SI vous dites ces vers à voix haute, vous vous apercevrez en un instant que le mot est accentué, contrairement au déterminant « le », qui est atone (non accentué). Racine a écrit ce vers en modifiant la place des accents (habituellement sur les syllabes 3 et 6 pour le premier hémistiche). Placé sous l’accent, le mot « fer » est donc mis en relief. Rappelez-vous nos échanges par ailleurs du point de vue du sens : à quoi renvoie ce mot métonymique, “fer”, qui désigne l’épée d’Hippolyte ? N’hésitez pas à revoir ce que j’ai résumé en cours, et qui se déroule lors de la scène d’aveu de Phèdre, à la toute fin de celle-ci : la reine, rejetée, a demandé à Hippolyte qu’il la tue, en vain.
  • Vous pouvez aussi, là encore, vous appuyer sur le travail scénique de Patrice Chéreau, de Pascal Greggory (Thésée) et Éric Ruf (Hippolyte), que nous avons vu, s’agissant de l’emploi de cette épée.
  • J’attire votre regard sur la terrible et menaçante ironie de Thésée, que fait déjà entendre l’imparfait (“Il fallait…”, à deux reprises). Lorsque le roi suggère qu’une ruse aurait pu sauver Hippolyte (“lui ravir tout d’un coup la parole et la vie”), son propos reprend le motif de la parole entravée, développé par Hippolyte. C’est toujours de silence qu’il est question, et plus précisément de méprise sur un silence : Thésée ne lui donne évidemment pas le sens qu’il a pour Hippolyte.
  • Mais l’ironie la plus glaçante est peut-être celle, admirablement belle, mais terrible, de Racine : en tout cas, je vous invite à réfléchir à ce que dit Thésée en parlant d’ôter tout à la fois la parole et la vie.

  • (Pas de confusion sur le sens, fort à l’époque, de l’adjectif “irrité” : la colère d’Hippolyte calomnié est immense.)
  • Il n’est pas anodin qu’ “irrité” rime avec “vérité”, qu’en dites-vous ?
  • Que pensez-vous du rejet du terme “Seigneur” ? Pourquoi insister sur ce mot ? Là aussi, il existe plusieurs façons de l’interpréter.
  • “qui vous touche” signifie à la fois qui vous concerne et qui vous affectera (s’il vous plaît, surtout pas d’emploi du verbe “impacter”).
  • Quel est le sous-entendu d’Hippolyte ici ?
  • Cette seconde réplique, comme en miroir, porte aussi sur le silence, ou plutôt, soyons plus clairs, met en mots et en vers un silence. Mais quel est-il cette fois ? Quelle différence avec le premier ?
  • Pourquoi est-il important que le GN “le respect” soit le sujet de la dernière proposition, dans l’ultime vers de l’extrait ?
  • Que peut comprendre le spectateur en entendant Hippolyte se taire ? Est-il héroïque ? Si oui, que penser de cette confrontation ?

Je ne sais pas pour vous - je vous laisse vous imprégner du texte -, mais je ne peux réprimer une admiration profonde et fascinée pour la façon dont s’opposent dans notre extrait une tirade et un réquisitoire portés par la rage et, au lieu d’un plaidoyer, un pur silence pour seule réponse. Je suis encore un peu classique dans mes goûts !


Réflexion sur des ouvertures possibles, en conclusion

Rappelez-vous, une ouverture n'est pas une question artificiellement lancée au vent, comme si cela avait quelque sens de dire que l'on "pourrait aussi s'interroger sur..." quelque chose sur quoi on ne s'interrogera pas, l'épreuve s'achevant. Une ouverture, c’est un autre mot pour dire que l’on met en perspective ce que l’on a étudié et dit avec autre chose ; on prend du recul, on dé-zoome, en somme. Le texte désormais déplié entre dans un champ plus vaste : la tragédie, le théâtre, la mise en scène du silence au théâtre, etc. Rhétoriquement, c’est un moment où une ultime formule peut emporter la conviction de votre auditeur, parce qu’elle manifeste votre intelligence des œuvres, c’est-à-dire, littéralement, la faculté que vous avez acquise de les lier (ligere) entre elles (inter).

Vous pouvez aussi chercher à clore votre explication par un motif qui fasse écho à son tout début, l’ouverture en conclusion répondant à l’amorce en introduction.

Quelques pistes :

  • Si le dénouement voit la mort de Phèdre, qui s’empoisonne, la pièce s’achève aussi par la mort d’Hippolyte : ce dernier est parti combattre désespérément un monstre jailli de la mer, créé par Neptune. Les chevaux qui obéissait au jeune prince (songez à son nom) s’emportent, effrayés, et dans leur course folle, achèvent leur maître. C’est Théramène, serviteur et confident d’Hippolyte, qui rapporte cette terrible fin à Thésée, dont les yeux sont en train de se dessiller.
  • À l’acte II, scène 5, avant l’aveu fatal de Phèdre à Hippolyte, ce dernier, qui la voit éplorée, se méprend : il la croit dévastée par la mort supposée de Thésée. Il tente alors de la rassurer par ces mots : “Neptune le protège, et ce dieu tutélaire / Ne sera pas en vain imploré par mon père”. Mais qu’entend alors le spectateur, connaisseur de l’histoire, qu’Hippolyte dit malgré lui ?
  • N’hésitez pas à aller voir des extraits de Phèdre en scène, pourquoi pas dans la mise en scène de Patrice Chéreau, pour tracer un parallèle intéressant.

Songez aussi aux nombreux points communs, et aux différences que vous pourriez mettre en exergue, entre cet extrait de Phèdre et la pièce de Lagarce que nous avons lue, et que nous avions évoqués ensemble à la suite de votre réflexion (peut-être plus en 1re B qu’en 1re A) :

  • l’importance du secret
  • la place et la forme du silence
  • le tragique, la malédiction familiale,
  • la chronique d’une mort annoncée, qui se met en branle à partir de cette scène
  • la présence du père, la relation père-fils.
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