Quelques conseils pour entrer dans la lecture du texte à commenter. Je mobilise (et détourne) de nouveau, sommairement, la notion d’horizon d’attente.


Premiers conseils

Rappelez-vous ce que nous avons évoqué plusieurs fois cette année : devant une œuvre, ou juste avant de la découvrir, nous avons toujours un horizon d’attente, lié à notre culture et nos connaissances. Au tout début d’un travail sur un commentaire de texte, avant même de le lire en entier, expliciter cet horizon d’attente, c’est-à-dire écrire au brouillon la liste de ce à quoi l’on peut s’attendre, en fonction du texte qui est soumis à notre lecture, donne un prisme de lecture qui rend l’appréhension du texte plus efficace.

  • Tout ce que vous connaissez au sujet de l’époque d’écriture et de publication, sur le plan de l'Histoire et de l'histoire littéraire, peut être mobilisé à bon escient. Attention toutefois à ce que cela ne vienne pas gauchir votre lecture du texte. En premier lieu, ne mobilisez tel pan de l’histoire littéraire que si vous le connaissez bien : tous les poèmes du XXe siècle ne relèvent pas du Surréalisme, tant s’en faut. Souvent, le texte lui-même se chargera de vous indiquer comment il s’inscrit dans son époque.
  • L’horizon d’attente que vous pouvez expliciter tient aussi au genre et au type (incipit romanesque, scène de dénouement…) du texte que vous avez sous les yeux. C’est ce qui est détaillé dans les différentes rubriques ci-dessous.
  • Par ailleurs, vous rencontrerez peut-être des éléments issus de telle ou telle tradition, des thèmes et des topoï privilégiés : le topos romanesque de la rencontre amoureuse, la scène de reconnaissance au théâtre, la célébration de la femme aimée en poésie, le thème de la fuite du temps… Vous serez alors attentifs aux effets de reprise et de variation de ces éléments traditionnels.
  • La lecture d’un texte s’attache aussi aux émotions qu’il crée, et pour cela aux tons qui le caractérisent : comique, tragique, pathétique, ironique, lyrique, épique, didactique…
  • Soyez aussi, bien entendu, attentif à la composition du texte : même si vous n’organisez pas vous-même votre commentaire en la suivant de près, cette composition en différents mouvements éclaire souvent le sens et mérite d’être dégagée.

À chaque genre correspond un prisme de lecture particulier.

Analyser un poème

  • En vers ou en prose ?
  • S’il est en vers, sont-ce des vers traditionnels ou des vers libres ? Les vers sont-ils rimés ? Est-ce une forme fixe comme le sonnet ?
  • S’il est en prose, conserve-t-il quelque marque de la poésie versifiée ? Comment est-il organisé ?
  • Pour ces derniers points, la question du thème du poème et celle de son époque de publication est cruciale.
  • Quelle tension éventuelle peut-il y avoir entre le thème et la forme poétique ? (Que l’on pense par exemple à cet objet trivial que sont les “fenêtres” de Baudelaire).
  • Images, sons, rythme, mise en pages du texte sont bien sûr à étudier.
  • Quel rôle le titre joue-t-il ?
  • Quelle place le poète occupe-t-il ?
  • Le texte est-il adressé ? Si oui, à qui ?
  • Peut-on parler de lyrisme (l’expression exaltée d’un manque ou d’un idéal, qui exploite les ressources musicales de la langue) ?

Analyser une scène de théâtre

  • Songez d’emblée au genre de pièce d’où est extraite la page à commenter : pour les œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles, le répertoire français s’organise en deux grands genres que sont la comédie et la tragédie. Pour chacun de ces genres, à quoi pouvez-vous vous attendre ? À partir du XIXe siècle, les frontières entre ces genres se brouillent à la faveur de la remise en cause du Classicisme par les auteurs romantiques, qui créent le drame romantique, où l’on peut à la fois rire et pleurer ; le vaudeville et le théâtre de boulevard succèdent à la comédie. La porosité entre les genres, les tons et les émotions est encore plus flagrante aux XXe et XXI siècles, ce qui n’empêche pas telle ou telle scène d’être porteuse de tragique, par exemple, quand bien même on ne parlerait pas de tragédie pour la pièce dont elle est tirée.
  • Exploitez toute information que vous auriez sur la situation de l’extrait dans l’œuvre, et sur son contenu : scène d’exposition, dénouement, scène de reconnaissance qui va faire basculer l’histoire, scène d’affrontement, scène de tromperie…
  • Quels sont les personnages ? Sont-ce des types de personnages (correspondant le plus souvent à des positions sociales) ? Quelles sont les relations entre eux ? Comment le lecteur découvre-t-il cela ?
  • Répliques, tirades, longueur des répliques, échanges brefs appelés stichomythies ; dialogue, monologue, aparté… Pensez à étudier le dialogue et ce qu’il révèle de la situation et des personnages.
  • Examinez le texte didascalique et les didascalies internes. Décor, gestuelle : tout fait sens au théâtre.
  • Rappelez-vous qu’un texte théâtral s’énonce d’une façon singulière : il est écrit par un dramaturge, mais proféré par des personnages (c’est ce qu’on appelle la double énonciation du texte théâtral) ; il est adressé par un personnage aux autres personnages, et aux spectateurs dans le même temps (c’est ce qu’on nomme la double destination du texte théâtral). Il arrive qu’une réplique ou que toute une scène joue très nettement de ces caractéristiques propres au genre.
  • Au théâtre, le spectateur sait qu’il entre provisoirement dans une fiction, qu’il va temporairement tenir pour vraie (c’est ce qu’on nomme la suspension du jugement). Or, parfois, un personnage peut nous rappeler que nous sommes au théâtre, que tout est imagination. C’est une façon de jouer avec la théâtralité du spectacle.
  • Comment pourrait-on mettre en scène cet extrait ? Une telle question, on l’a vu, aide à comprendre le sens, ou à ouvrir un champ d’interprétations possibles.
  • À quoi la scène aboutit-elle ? Fait-elle avancer l’action de la pièce ?
  • Quelles émotions le texte peut-il susciter chez le spectateur ? (Telle réplique, au ton comique, fera rire le public ; telle remarque peut être empreinte d’ironie de la part du dramaturge, et pas forcément du personnage, dont il se moque peut-être, ce qui peut créer entre l’auteur et le spectateur une forme de connivence…).

Analyser un extrait de roman, un récit

  • Exploitez toute information que vous auriez sur la situation de l’extrait dans l’œuvre : un incipit joue un rôle lié à la découverte du roman ; la dernière page doit clore l’œuvre, etc.
  • L’extrait est-il narratif ? descriptif ?
  • Quel est la vitesse du récit ?
  • S’il y a dialogue, quelle insertion dans le récit ? À quoi le dialogue sert-il ? Aboutit-il à quelque chose ?
  • Qui donne à voir l’action, et comment (point de vue omniscient, interne, externe) ? Attention, les points de vue varient dans une même page.
  • Le narrateur (la voix narrative) est-il (est-elle) un personnage de l’histoire, ou une instance extérieure à l’histoire ?
  • Le narrateur s’implique-t-il dans le récit ? Donne-t-il son point de vue, même discrètement, sur les personnages ?
  • Que sait-on du personnage ?
  • Comment ses paroles et ses pensées sont-elles rapportées ?
  • Est-il un type ? De quelles valeurs est-il porteur ?

Analyser un texte argumentatif

  • Peut-on identifier la thèse de l’auteur ?
  • Comment est-elle dévoilée au lecteur ? L’auteur prend-il position explicitement (dans un essai, un discours…) ? Ou le lecteur est-il appelé à la construire a posteriori, d’après un récit qui lui sert d’enveloppe (un apologue, comme une fable ou un conte philosophique) ?
  • Quels sont les arguments de l’auteur ? Là encore, sont-ils explicites ou non ?
  • Quels exemples viennent les illustrer ?
  • Si le texte relève du discours, quelle est la part d’oralité ?
  • S’il relève du genre de l’apologue (fable, conte philosophique, roman à visée argumentative…), en quoi les personnages et l’histoire servent-il le propos de l’auteur ? Une morale ou une leçon se dégage-t-elle du texte ? L’allégorie est-elle mobilisée au service de l’argumentation ?
  • L’auteur fait-il par ailleurs appel aux émotions du lecteur ? Si oui, lesquelles ?
  • Quelle relation l’auteur construit-il avec le lecteur ?
  • Le texte est-il empreint d’ironie ? Avec quels effets ?
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