Certaines dissertations, pertinentes sur le fond, sont pénalisées par la formulation des arguments en début de sous-partie, formulation qui s’avère insuffisamment précise et / ou raccrochée au sujet.

Voici quelques rappels et conseils pour progresser sur ce point essentiel.

Billet enrichi le lundi 1er février 2016 au soir.

Au sommaire

Rappels

La formulation des arguments dans une dissertation est un travail à réaliser au brouillon.

Une fois le sujet analysé, les exemples trouvés (ou les grandes parties du plan élaboré, selon la manière dont on procède), il faut formuler des arguments.

Chacun sera énoncé en une phrase au brouillon. On recopiera cette phrase sur la copie définitive, en ajoutant encore une ou deux phrases pour développer l’argument, puis on l’illustrera par un exemple développé lui aussi.

La formulation de l’argument doit montrer au correcteur que le sujet est toujours au cœur de votre réflexion : il faut donc ne pas cesser, tout au long de la copie, d’en reprendre les termes, comme si chaque nouvel argument permettait de creuser davantage le sujet et le sens des mots-clés de la problématique.

Argument élaboré à partir d’une rêverie de Madame Bovary

Soit le sujet suivant :

La tâche du romancier, quand il crée des personnages, ne consiste-t-elle qu’à imiter le réel ?

Admettons que l’on ait en tête Madame Bovary, plus précisément un des nombreux passages du roman où le narrateur nous invite à découvrir la rêverie de l’héroïne. Il existe en particulier un épisode emblématique du désamour entre Emma et Charles (2ème partie, chapitre 12) : le lecteur découvre ce dont rêvent les deux époux, à l’opposé l’un de l’autre. Le texte est proposé ci-dessous.

Vous pouvez aller directement à l’analyse de l’exemple et à l’élaboration de l’argument en cliquant ici.

Extrait

Quand il rentrait au milieu de la nuit, il n’osait pas la réveiller. La veilleuse de porcelaine arrondissait au plafond une clarté tremblante, et les rideaux fermés du petit berceau faisaient comme une hutte blanche qui se bombait dans l’ombre, au bord du lit. Charles les regardait. Il croyait entendre l’haleine légère de son enfant. Elle allait grandir maintenant ; chaque saison, vite, amènerait un progrès. Il la voyait déjà revenant de l’école à la tombée du jour, toute rieuse, avec sa brassière tachée d’encre, et portant au bras son panier ; puis il faudrait la mettre en pension, cela coûterait beaucoup ; comment faire ? Alors il réfléchissait. Il pensait à louer une petite ferme aux environs, et qu’il surveillerait lui-même, tous les matins, en allant voir ses malades. Il en économiserait le revenu, il le placerait à la caisse d’épargne ; ensuite il achèterait des actions, quelque part, n’importe où ; d’ailleurs, la clientèle augmenterait ; il y comptait, car il voulait que Berthe fût bien élevée, qu’elle eût des talents, qu’elle apprît le piano. Ah ! qu’elle serait jolie, plus tard, à quinze ans, quand, ressemblant à sa mère, elle porterait comme elle, dans l’été, de grands chapeaux de paille ! on les prendrait de loin pour les deux sœurs. Il se la figurait travaillant le soir auprès d’eux, sous la lumière de la lampe ; elle lui broderait des pantoufles ; elle s’occuperait du ménage ; elle emplirait toute la maison de sa gentillesse et de sa gaieté. Enfin, ils songeraient à son établissement : on lui trouverait quelque brave garçon ayant un état solide ; il la rendrait heureuse ; cela durerait toujours.

Emma ne dormait pas, elle faisait semblant d’être endormie ; et, tandis qu’il s’assoupissait à ses côtés, elle se réveillait en d’autres rêves.

Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau, d’où ils ne reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient, les bras enlacés, sans parler. Souvent, du haut d’une montagne, ils apercevaient tout à coup quelque cité splendide avec des dômes, des ponts, des navires, des forêts de citronniers et des cathédrales de marbre blanc, dont les clochers aigus portaient des nids de cigognes. On marchait au pas, à cause des grandes dalles, et il y avait par terre des bouquets de fleurs que vous offraient des femmes habillées en corset rouge. On entendait sonner des cloches, hennir les mulets, avec le murmure des guitares et le bruit des fontaines, dont la vapeur s’envolant rafraîchissait des tas de fruits, disposés en pyramide au pied des statues pâles, qui souriaient sous les jets d’eau. Et puis ils arrivaient, un soir, dans un village de pêcheurs, où des filets bruns séchaient au vent, le long de la falaise et des cabanes. C’est là qu’ils s’arrêteraient pour vivre ; ils habiteraient une maison basse, à toit plat, ombragée d’un palmier, au fond d’un golfe, au bord de la mer. Ils se promèneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur existence serait facile et large comme leurs vêtements de soie, toute chaude et étoilée comme les nuits douces qu’ils contempleraient. Cependant, sur l’immensité de cet avenir qu’elle se faisait apparaître, rien de particulier ne surgissait ; les jours, tous magnifiques, se ressemblaient comme des flots ; et cela se balançait à l’horizon, infini, harmonieux, bleuâtre et couvert de soleil. Mais l’enfant se mettait à tousser dans son berceau, ou bien Bovary ronflait plus fort, et Emma ne s’endormait que le matin, quand l’aube blanchissait les carreaux et que déjà le petit Justin, sur la place, ouvrait les auvents de la pharmacie.

Analyse de l’exemple

Dans cet exemple, Flaubert imite le réel, d’une certaine façon : le cadre de la rêverie est tout à fait réaliste, c’est la chambre à coucher ; l’attitude de chacun d’entre eux, et la désunion de ce mariage rendent compte avec vraisemblance d’une réalité du XIXe siècle, celle des mariages mal assortis, avec lesquels contrastent tant les idéaux de la jeunesse (si l’on se situe du côté d’Emma).

En même temps, Flaubert va loin dans l’imitation, puisqu’il donne à lire, par le biais du discours indirect libre, ce que pensent, ce dont rêvent les époux Bovary. Or si les souhaits de Charles sont terriblement matérialistes (louer une ferme, épargner, se faire broder des pantoufles), ceux d’Emma dessinent un univers incohérent, irréel, rempli de sensiblerie et des pires clichés romantiques qui soient.

C'est donc un exemple-limite : en donnant vie à ses personnages et en nous faisant pénétrer dans leur conscience, Flaubert joue sur l’antagonisme entre la réalité, qu’il imite et dans laquelle Charles s’inscrit avec bonheur, et l’irréel qui nourrit les rêves d’Emma, malheureuse dans son mariage.

Place de l’exemple dans le devoir

Cet exemple trouvera probablement sa place dans une troisième partie, qui montrerait que l'opposition entre réel et irréel présupposée par le sujet est peut-être à dépasser (telle serait l’idée directrice d’un III).

Argument

Le romancier peut situer ses personnages entre rêve et réalité pour mieux leur donner vie et faire saisir au lecteur l'état profond dans lequel ils se trouvent.

Si cet argument intervient dans la deuxième sous-partie, on ajoutera bien sûr un lien logique.

De surcroît, le romancier peut situer ses personnages entre rêve et réalité pour mieux leur donner vie et faire saisir au lecteur l'état profond dans lequel ils se trouvent.

  • Même si l’expression "imiter le réel" n’est pas reprise telle quelle, la variante lexicale adoptée ("la réalité") et les termes mis en exergue ("rêve et réalité") renvoient explicitement au sujet.
  • La mention des personnages est indispensable : le sujet ne porte pas sur l’imitation du réel par le romancier, mais sur l’imitation du réel par le romancier quand il crée des personnages.
  • L’argument se doit d’apporter une nouvelle pierre à la réflexion : il faut signaler ce qui fonde le choix du romancier : ambition réaliste, effet x ou y sur le lecteur. Ici, on a choisi de dire que le lecteur se trouve ainsi en mesure de saisir les personnages plus en profondeur.

Autre argument possible avec le même exemple

De surcroît, le romancier peut situer ses personnages entre rêve et réalité et paradoxalement accentuer leur vraisemblance, car à notre image, les héros de roman oscillent entre le réel et leurs idéaux.

Mêmes arguments avec un autre exemple

On aurait très bien pu élaborer les deux arguments ci-dessus (le personnage entre rêve et réalité est entièrement dévoilé au lecteur ; le personnage entre rêve et réalité est très vraisemblable) avec un autre exemple, celui de Grange dans Un balcon en forêt de Gracq. Le personnage n’adhère pas au réel ; le rêve et l’imagination l’emportent sans cesse, même quand il est mitraillé dans la forêt le 12 mai 1940, jour de l’assaut dans les Ardennes. Ce personnage entre rêve et réalité permet donc au romancier d’inventer ce qui contribue amplement à la singularité de son roman : un héros happé par la merveille du monde.

C'est important d'avoir une certaine capacité d'analyse pour décomposer les arguments qu'inspire un même exemple, et une certaine souplesse d'esprit pour trouver un nouvel exemple lorsqu'on se trouve finalement avec deux arguments au lieu d'un.

Paragraphe complet (= sous-partie)

De surcroît, le romancier peut situer ses personnages entre rêve et réalité pour mieux leur donner vie et faire saisir au lecteur l’état profond dans lequel ils se trouvent. L’écriture romanesque permet en effet de pénétrer la conscience d’un personnage, de découvrir ce qu’il imagine. Ainsi du passage de Madame Bovary où l’héroïne éponyme fait semblant de dormir aux côtés de Charles. Tandis qu’il rêve de son côté d’un bonheur tout matériel, Emma part au "galop de quatre chevaux" dans un songe éveillé tout à fait incohérent, plein d’outrances romantiques. Au-delà de l’ironie qui naît de ce contraste, le caractère irréel de la pensée d’Emma montre bien que Flaubert va plus loin que l’imitation du réel, ou plutôt qu’il imite le réel à la limite de celui-ci, puisque l’écriture rend compte d’un rêve. En conviant le lecteur dans l’esprit d’Emma, il révèle à quel point elle cherche à échapper, par la rêverie, au réel qui l’oppresse. Les personnages nous sont ainsi d’autant mieux dévoilés que le romancier convoque le réel et l’irréel simultanément.

Paragraphe complet étape par étape

Énoncé de l'argumentDe surcroît, le romancier peut situer ses personnages entre rêve et réalité pour mieux leur donner vie et faire saisir au lecteur l’état profond dans lequel ils se trouvent. Développement de l'argumentL’écriture romanesque permet en effet de pénétrer la conscience d’un personnage, de découvrir ce qu’il imagine. Énoncé de l'exempleAinsi du passage de Madame Bovary où l’héroïne éponyme fait semblant de dormir aux côtés de Charles. Tandis qu’il rêve de son côté d’un bonheur tout matériel, Emma part au "galop de quatre chevaux" dans un songe éveillé tout à fait incohérent, plein d’outrances romantiques. Analyse de l'exempleAu-delà de l’ironie qui naît de ce contraste, le caractère irréel de la pensée d’Emma montre bien que Flaubert va plus loin que l’imitation du réel, ou plutôt qu’il imite le réel à la limite de celui-ci, puisque l’écriture rend compte d’un rêve. En conviant le lecteur dans l’esprit d’Emma, il révèle à quel point elle cherche à échapper, par la rêverie, au réel qui l’oppresse. Conclusion du paragraphe, retour à l'argumentLes personnages nous sont ainsi d’autant mieux dévoilés que le romancier convoque le réel et l’irréel simultanément.

Argument fondé sur le portrait de Rastignac dans Le père Goriot de Balzac

  • Cet exemple vu en cours montre bien le travail de création à l’œuvre chez Balzac : en quelques traits, le romancier qui entend "faire concurrence à l’état-civil" campe le type du jeune homme désargenté et d’ascendance aristocratique sous la Restauration. C’est donc à la fois toute une époque et tout un récit initiatique que trame ce portrait : l’histoire en germe d’une ascension sociale désirée dès les premières pages.
  • L'argument serait le suivant : en imitant le réel lorsqu’il crée ses personnages, le romancier se donne une chance d’amorcer un récit fictif avec beaucoup de vraisemblance, parce que l’histoire, même inventée, s’inscrit dans une époque et une société données et reconnaissables.

Argument fondé sur l’exemple du Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien

Vous êtes plusieurs à l’aimer, moi aussi. Mais attention pour le Bac, ce n’est pas une œuvre aussi reconnue en France qu’en Grande-Bretagne.

  • L'exemple ne serait pas fondé pour une fois sur un passage précis, mais sur un aspect particulier du roman (la précision demeure nécessaire : on évitera de parler de l’œuvre en général). Il s’agit des Hobbits, au cœur de l’histoire : ils sont dépeints au début de l’œuvre (dans une partie spécifique d’ailleurs). Or ils présentent de nombreuses similitudes avec les Britanniques moyens de la ruralité (du début du XXe siècle). Autrement dit, dans un univers entièrement fondé sur l’imaginaire et le merveilleux (nous importons le terme générique "fantasy" de l’anglais, mais avons le mot "merveilleux" qui en est l’équivalent), Tolkien donne à ses Hobbits une grande vraisemblance, parce qu’il imite le réel. Ils sont attachés aux histoires de familles, aux anniversaires ; ils aiment la vie champêtre, ses saisons, les joies de la nature, les fêtes, les repas abondants ; ils boivent de la bière, chantent et fument la pipe.
  • L'argument serait le suivant : même lorsque le romancier crée des personnages merveilleux dans un univers qui l’est tout autant, il peut, en s’inspirant du réel, leur donner épaisseur et vraisemblance : le monde imaginaire acquiert ainsi une grande densité.
  • Cet argument aussi trouverait sa place dans une dernière partie.

Argument fondé sur Nana de Zola

  • L'exemple de Zola est très intéressant, quel que soit le roman concerné. En effet, le chef de file du Naturalisme prône l’écriture d’un "roman expérimental" : le genre épouse l’ambition de la science pour donner à voir la réalité sociale sans fard. Mais en même temps, le style de Zola s’emporte parfois avec lyrisme, ou se teinte de fantastique : le Naturalisme avec lui atteint une dimension mythique. Nana, la courtisane du Second Empire, est transformée dans divers épisodes du roman en bête infernale, en un monstre qui séduit tous les hommes et incarne dès lors la corruption de ce monde. "J’ai cherché à mettre de l’humanité sous mes phrases, j’ai eu l’ambition, sans doute trop grande, de vouloir planter debout une fille, la première venue", écrit Zola. Autrement dit, imiter le réel pour l’écrivain c’est aussi emprunter à l’imaginaire.
  • L'argument serait le suivant : l’imitation du réel, s’agissant de la création des personnages, peut amener le romancier à explorer les ressources de l’imaginaire pour mieux rendre compte de la réalité.
  • C’est encore un argument et un exemple à exploiter dans une dernière partie du devoir.
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